Historique

Le LLCP, Laboratoire d’études et de recherches sur les logiques contemporaines de la philosophie, a été créé en 2005 sous l’impulsion d’A. Badiou et de S. Douailler avec la volonté de constituer en champ spécifique de recherches l’exploration de nouvelles délimitations du philosophique et de son dehors aux côtés des travaux bien identifiés en histoire de la philosophie et au sein des divers courants rattachés à l’épistémologie, à la philosophie du langage, à l’herméneutique ou à la phénoménologie. Réunissant des orientations de recherches qui avaient trouvé dans la création du Collège international de philosophie un cadre favorable pour interroger les formes et frontières de la politique, la constitution de l’esthétique comme domaine de pensée, les partages entre discours savants et ordinaires sous la détermination des champs de la pratique humaine, il a fusionné sur un plan institutionnel trois équipes existantes de l’Université Paris 8 : le Groupe Esthétique, Représentations, Savoirs (GERS EA 1468) dirigé par J. Rancière et A. Badiou, l’équipe Philosophie, Langage, Politique (Philapolis EA 1465) dirigée par J. Poulain et A. Soulez, l’équipe Actes transgressifs, discernement, activité de pensée et rapport à la loi (EA 3390) dirigée par N. Puig-Vergès, et participé à la construction coordonnée par H. Meschonnic de l’école doctorale Disciplines du sens devenue ensuite l’E.D. Pratiques et théories du sens.

En se réunissant au sein d’un laboratoire d’études et de recherches sur les logiques contemporaines de la philosophie, ces trois équipes choisissaient de souligner ensemble une manière d’investir la philosophie et son histoire ainsi que ses principaux courants contemporains qui avait caractérisé des enseignements et des contributions à la recherche que la création de l’Université de Vincennes en 1968 avait su accueillir au titre de la philosophie et mener vers une action durable au sein de nombreux autres champs et disciplines universitaires. Les attentes d’étudiants et chercheurs de tous statuts et nombreuses nationalités, qui convergeaient vers le département de philosophie, et qui prouvaient leur aptitude à renouveler les schèmes de pensées dans le cadre du D.E.A. Lieux et transformations de la philosophie et dans celui du doctorat de philosophie de Paris 8, menèrent vers la constitution de 3 axes de recherche entendus comme manières différentes d’accentuer le rapport du travail philosophique à l’objectivité du discours scientifique (axe 1), à l’historicité techniquement médiatisée des corps, événements et communautés sensibles (axe 2), aux vérités et images du présent contenues dans le paysage polémique impur des pratiques politiques, sociales, artistiques, philosophiques et savantes (axe 3). Cette configuration fut complétée dès l’année suivante par la constitution d’un groupe émergeant de recherche dirigé par A. Soulez sur Épistémologie de la comparaison, philosophie et esthétique musicale (approches pluriregistres : langage, art, science).

 Animé entre 2005 et 2009 par 10 professeurs d’université et 12 maîtres de conférences dont 4 habilités, le LLCP prit rapidement l’initiative de manifestations importantes sur la philosophie contemporaine (Cerisy 2005 : « Jacques Rancière et la philosophie au présent », Buenos-Aires 2005 : « Voces de la filosofia francesa contemporanea »). Il dédia une action spécifique aux « Archives de Vincennes », associée à la création aux éditions Hermann de la revue Cahiers critiques de philosophie qui travailla, entre autres, à la mise en ligne de « La voix de Gilles Deleuze ». Sur le plan régional et national, il travailla en lien étroit avec le Collège international de philosophie, avec le Centre informatique de création musicale de Paris 8 et avec la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord. Il noua ou confirma, par ailleurs, des contacts qui s’avèreront décisifs pour les années qui suivront avec l’Algérie, la Tunisie, Haïti, l’Allemagne, la Russie, l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Pérou, l’Uruguay, en s’appuyant sur des institutions et des programmes comme le Programme de coopération scientifique interuniversitaire franco-algérienne, les réseaux de chercheurs de l’Association universitaire de la francophonie, le réseau des chaires UNESCO de philosophie, le Centre franco-argentin des Hautes Études de l’Université de Buenos-Aires, les programmes ECOS-Sud et ECOS-Nord, PREPA, COFECUB. Organisant des manifestations scientifiques internationales et favorisant dans leur prolongement des publications et des traductions, il devint en quelques années une référence croissante pour l’accueil d’étudiants étrangers désireux de s’engager dans des thèses de philosophie en co-tutelle.

Évalué A+ par l’AERES, le LLCP entame un deuxième contrat au cours duquel il ajuste sous la responsabilité de Ch. Ramond puis de P. Vauday son organisation en 3 axes à des départs à la retraite et à de nouveaux recrutements. Alors que se poursuivent les activités rattachées à la chaire UNESCO de philosophie de la culture et des institutions dirigée par J. Poulain (devenu professeur émérite), l’axe de recherche dirigé par A. Soulez, accentuant son inscription et sa visibilité dans les études wittgensteiniennes, prenant le nom de Grammaire et pratiques de la comparaison, engage dans la méthodologie de comparaison des jeux de langage de Wittgenstein et dans un esprit proche de l’épistémologie comparative développée par G.G. Granger la coopération avec le Centre informatique de création musicale de Paris 8 sur les opérations de composition du son, les travaux de J.-P. Marcos sur la grammaticalité des énoncés de la théorie psychanalytique et ceux de P.W. Prado sur l’histoire longue des thérapies langagières de l’âme et du souci de soi. Viennent s’agréger à cette orientation deux recrutements de professeurs portant sur l’épistémologie de la culture et la philosophie des sciences : Ch. Ramond et P. Cassou-Noguès. Pendant ce même contrat le troisième axe reconfiguré autour de G. Navet sous l’intitulé Figures politiques, juridiques, philosophiques et esthétiques de l’hétérogénéité poursuit en France et à l’étranger, avec l’appui de programmes internationaux et d’institutions (La Maison de l’Amérique latine à Paris, l’Institut des Amériques, La Fondation Maison des Sciences de l’Homme : Amérique latine, programme ECOS-Sud) l’investigation des auteurs de philosophie contemporaine (Buenos-Aires 2009 : Jornadas internacionales Michel Foucault – subjectividad, poder-saber, verdad, Paris 8 2010 : Colloque international François Châtelet, Paris 8 2012 : Colloque international La formation de Georges Canguilhem, un entre-deux-guerres philosophique). S’emparant de la question de la citoyenneté au sein des commémorations pour le Bicentenaire des indépendances de l’Amérique latine, il en élabore dans le cadre d’initiatives multiples une double approche constitutionnelle (Colloque international « Bicentenaire des Constitutions des Amériques ») et mémorielle avec le Centro Cultural Haroldo Conti et la Biblioteca Nacional de Buenos-Aires. D’autres interventions appelées par l’actualité mènent à renforcer dans les recherches engagées les questions anciennes et nouvelles du conflit : « Penser la guerre au XVIIème » (Paris 8, avec le CERPHI), « De quoi communisme est-il le nom ? » (Paris 8, en coopération avec la Société Louise Michel), La question des frontières (Céret 2010), « Justice pénale et justice transitionnelle » (Moscou 2010), Le printemps arabe (Tunis 2011). Sous l’influence d’un séminaire de recherche pluriannuel mené pendant le contrat et intitulé « À quoi reconnaît-on un penseur socialiste ? », l’axe décide de spécialiser ses recherches par rapport à un nouvel intitulé : Hétérogénéité des mondes et logiques de l’émancipation. L’axe 3, qui a fédéré parallèlement de nombreux chercheurs en arts et en esthétique autour de son programme de recherche sur les Appareils à la Maison des Sciences de l’Homme de Paris-Nord, y fonde, en même temps que plusieurs programmes associés, une revue en ligne qui accueille ses travaux et leur donne une importante visibilité internationale, et dont les activités se poursuivent aujourd’hui après le départ à la retraite de ses deux principaux animateurs, J.-L. Déotte décédé en 2018, et A. Brossat. Entretemps, le LLCP a créé en son sein, en 2011, un nouvel axe reposant sur un partenariat inédit avec le Center for Research on Modern European Philosophy. Cet axe, intitulé Groupe de Recherches Philosophiques Transdisciplinaires, regroupe au sein du LLCP 4 professeurs d’université, 2 maîtres de conférences et 1 professeur émérite, ainsi que 4 professeurs titulaires de Kingston University à Londres (H. Caygill, P. Hallward, P. Osborne, S. Sandford) invités en alternance à Paris 8 sur une chaire internationale tournante, et 3 professeurs associés des départements arts de Paris 8. Le volet Recherche de ce partenariat développe 3 thèmes : Philosophie et Art Contemporain ; Philosophie et Transdisciplinarité ; Constructions de la Psyché, Philosophies du sujet et de la subjectivation.

Au cours du contrat qui suit, le LLCP, évalué A en 2013 par le Comité d’experts de l’AERES et dirigé alternativement par P. Vauday, P. Cassou-Noguès, B. Ogilvie, F. Brugère, intensifie dans tous ses axes de recherches ses coopérations internationales portées par une présence croissante en son sein de doctorants en co-tutelles, de post-doctorants et de professeurs étrangers invités pour des séminaires ou des actions de recherche. Conscient de continuer à faire exister et à rendre visible pour de nombreux chercheurs et jeunes chercheurs de tous pays une pratique de la philosophie ouverte et accueillante aux libres inventions d’objets, de méthodes et de problèmes nouveaux, il confirme son rôle de lieu de rencontres entre strates d’historicités multiples et sphères géographiques diversifiées de la recherche en philosophie. L’approfondissement des conceptualisations philosophiques contemporaines continue d’impulser au sein de l’axe 1 la relance critique d’horizons d’universalité constitutifs du discours philosophique en y réinscrivant les nouages polémiques que l’hétérogénéité et la singularité provoquent dans les synthèses du pensable (logique), du vivable (mondes) et de l’égalité démontrable (émancipations) : contre-savoirs et résistances de la mémoire abordées dans un important cycle d’actions de « Rencontre des mémoires » entre Haïti et les pays d’Amérique du Sud en 2014 et 2015 mené avec l’appui de la FOKAL- Open Society Haïti, l’Université d’État d’Haïti, l’Universidad Nacional General Sarmiento, le LCSP de Paris 7 et l’Initiative d’excellence IDEFI-CRéaTIC ; effets de pensée des destitutions violentes de l’institution politique (« La notion de guerre civile » colloque 2015, « Hégémonies, populisme, émancipation. Hommage à Ernesto Laclau » - FMSH 2015, « Daniel Bensaïd, une philosophie de l’engagement » - Paris 8 2019) ; non-lieux de l’exil (« Hétéronomies de la justice : exils et utopies » - Université nationale autonome du Mexique, 2015 et « Exil / désexil. Philosophies de l’autre monde » - Paris 8 2017) ; cartographies décoloniales (« Mémoire, Histoire et Pouvoir en terres postcoloniales. L’expérience haïtienne Hommage à Michel-Rolph Trouillot », Paris 8 2014, « Regards transatlantiques croisés sur les indépendances et critiques postcoloniales du logocentrisme philosophique - Paris 8 2016, « Afrocentricités : histoires, philosophie, pratiques » - Paris 8 2017, « Le mot race. Cycle de rencontres et de conférences avec A. Mbembé - Paris 8 2019) ; paradoxes et apories de la pensée éducative (« Hériter de l’humanité » - Tours 2015 et « Mort de l’enseignement philosophique ou épuisement du paradigme cousinien » - Cannes 2017). Pour sa part l’axe 2 du LLCP, prolongeant ses recherches sur les grammaires entendues au sens de Wittgenstein, Freud, Lacan et Lyotard, les a ouvertes sous l’impulsion de P. Cassou-Noguès (La mélodie du tictac - 2013, Les cauchemars cybernétiques de Norbert Wiener - 2014, Le sujet digital - 2015) à la question de la consistance réelle et fictionnelle des manipulations symboliques opérées par la culture numérique tout en les confrontant à la position du sujet et à ses traversées des grammaires psychanalytiques (J-P. Marcos, M. Pingeot - La dictature de la transparence - 2016, P.W. Prado, A. Soulez - Détrôner l’Être, Wittgenstein antiphilosophe ? en réponse à Badiou - 2016), ou à celles reconstituables dans la discursivité du rationalisme classique en contrepoint du langage ordinaire (Ch. Ramond et J. Stetter, Colloque international Spinoza France États-Unis - 2016, Ch. Ramond, Spinoza contemporain. Philosophie, éthique, politique - 2016, M. Pingeot, Les enfants et les fous. Descartes et ses lectures contemporaines - 2019). Dans le cadre d’un étroit partenariat avec le Center for Research on Modern European Philosophy (Université Kingston) l’axe 3 du LLCP a continué de son côté d’explorer l’écart de la transdisciplinarité dont il revendique le forçage ou passage à la limite des concepts s’exposant aux dehors historiques contre les dialogismes inter- et pluridisciplinaires, et alors l’installation dans des dys-positions discursives et postdiscursives, signifiantes et asignifiantes, qui convertissent données immédiates et (faux) sens commun en généalogies, contre-écritures et contre-histoires. Relançant les héritages de la Théorie critique allemande, des Mille plateaux de G. Deleuze et F. Guattari et de leurs réécritures anglosaxonnes en forme de Theory aux multiples variations, les travaux réalisés s’emploient à construire une attention aux modalités de rupture avec le grand récit philosophique de l’esthétique ainsi qu’aux dimensions conceptuelles et postconceptuelles de l’art contemporain non sans effets en retour sur notre compréhension de l’art moderne (Journées d’études « La condition postconceptuelle de l’art contemporain » - Paris 8 2014, 2015, 2016, « Errances de la couleur » - Paris 8 2016). D’autres travaux interrogent le statut de la prétendue accumulation primitive relativement à la loi du surtravail capitaliste au Nord comme au Sud, les différenciations conflictuelles du sexe et du genre et les critiques du patriarcat, de même que les complications entre gouvernance et subjectivation (« La subjectivation. Regards croisés » - Paris 8 2014, « Corps (sensibles) et biens (communs) » UNGS, Argentine, 2015, « Confiance et croyance » - Paris 8 2016, « Foucault et les arts » - Paris 8 et Paris 10 2017, « George Bataille et la pensée de la nuit » - Paris 8 2017, « Le Lénine des philosophes » - Paris 8 2017, « Walter Benjamin und die Poesie » - Berlin 2018, « Cinquante ans après » - ENSA Belleville 2018). Un séminaire, initié en 2011 à l’ENS, s’est élargi à un cours commun de master et à un séminaire doctoral de Paris 8 en 2014 (avec Antonia Birnbaum, Michèle Cohen-Halimi, Bertrand Ogilvie). Il aborde chaque année la théorie critique sous un angle différent. 2014-2015 : théorie critique et langage, 2015-2016 : théorie critique et histoire, 2016-2017 : théorie critique et psychanalyse, 2017-2018 : théorie critique et marxisme. Ce séminaire est largement investi par les doctorants, qui y font régulièrement des interventions en rapport avec leur thèse. Dans l’ensemble du LLCP, les doctorants en lien avec des étudiants de Master et de jeunes docteurs développent également d’importantes et dynamiques initiatives de recherche. Au laboratoire tournant de philosophie créé en 2011 par un groupe de jeunes chercheurs associant des doctorants de France, d’Argentine, Chili et Uruguay se sont ainsi ajoutés en 2016 un groupe d’études politiques en réseaux développant une démarche au croisement des internationalités du Proche et Moyen-Orient et Amériques, puis en 2018 un séminaire « L’art au travail » présent en particulier au sein d’un partenariat du LLCP avec l’Association tunisienne d’esthétique et de poïétique (Tunis) et l’Université Paris 1, ainsi qu’un tout récent réseau international de jeunes chercheurs « Perdre le Nord » organisateur en 2018-2019 de 3 importantes manifestations scientifiques soutenues par le LLCP, le laboratoire ERRAPHIS de Toulouse, l’IHEAL Paris 3, les Universités Del Norte et Del Atlantico de Baranquilla (Colombie), l’institut des Hautes Études en Sciences Sociales IGLOBAL (République dominicaine), l’Institut des Amériques et le Campus Condorcet. Ces initiatives de doctorants complètent les actions développées pendant la période par le LLCP au sein du LABEX Arts-H2H, dans l’IDEFI-CRéaTIC, à la MSH Paris Nord et la FMSH, dans des actions ECOS, CAPES-COFECUB et PREFALC, ou à l’Institut des Amériques. Ce contrat s’achève par ailleurs en 2019 sur un très important et très réussi renouvellement de ses membres fondateurs dans lequel s’annonce, notamment sous l’aspect d’un rajeunissement et d’une féminisation, la possibilité pour l’unité de recherche d’ouvrir et d’inventer, en même temps que des fidélités nouvelles, des tâches et horizons demeurés comme en attente.