Axe 1. Hétérogénéité des mondes et logiques de l’émancipation

Instituant le motif général des logiques de l’hétérogène comme point de convergence théorique entre les recherches qu’elle favorise, cette équipe met l’accent sur une double visée. Elle reprend d’une part la discipline de la « logique » au sens précis où les sources antiques demandaient à celle-là d’accompagner et d’expliciter le travail de connaissance effectué dans le champ de l’éthique et de la physique dans la figure d’opérations de pensée formellement contraintes en même temps qu’ordonnées à des dimensions universelles. Elle prend acte d’autre part des déplacements par lesquels la pensée en est venue, moins à se localiser par subordination à ses propres moments, qu’à se saisir ou se ressaisir dans une horizontalité incertaine jetée entre matières, regards, paroles. Elle travaille à ce titre aussi bien à la frontière de régimes de signes distincts, à l’intérieur de la polémique qu’un inédit ou un inaperçu soutiennent au sein du réel imagé et connu, au plus près enfin des nœuds qui unissent les constellations nouvelles surgissant en ces points à des processus d’émancipations subjectives ou collectives.

Cette orientation commune se déploie au sein des recherches suivantes :

Des investigations qui prennent pour objets problématiques des figures de coïncidence par lesquelles des configurations savantes ou lettrées, des formes de partage esthétique et politique du commun, des modes de subjectivation, s’unissent polémiquement aux agencements dans lesquels se reproduit et se réinvente au jour le jour la domination organisée des langages et des corps. Dans la continuité des recherches impulsées par A. Badiou et J. Rancière (premiers responsables de cet axe), elles considèrent en particulier la question de l’apparaître des vérités dans des mondes déterminés, les inventions poétiques dans lesquelles l’art contemporain s’identifie ou se désidentifie à des formes de vie, la discordance logique et sensible des temps, des espaces et des subjectivités introduite par les motifs de l’égal ou de l’universel dans les unités litigieuses élaborées par la division mondiale du travail et ses contestations démocratiques. Elles s’accompagnent d’un travail d’analyse d’œuvres et de propositions théoriques de la philosophie contemporaine en proximité avec celui entrepris par le Centre International d’Etude de la Philosophie Française Contemporaine (CIEFPC, ENS de Paris) et par le Collège international de Philosophie (CIPh), ou par d’autres centres universitaires en France et à l’étranger.

Un ensemble de recherches plus particulièrement déployées comme investigations des questions du droit, de la communauté politique, du travail et des échanges, des partages du savoir et du sensible. Elles remettent les paradigmes consensuels, contractuels ou souverains, qui revendiquent dans l’actualité scientifique d’en régler les discours et les représentations, à l’épreuve de multiples autres configurations dans lesquelles se réinventent sur leurs bords ou se maintiennent en eux comme une face d’ombre des exigences distinctes portées polémiquement par des revendications d’égalité, d’universalité, d’émancipation. Le déchiffrement de cette autre histoire ou de cet autre présent introduit dans des champs agonistiques, qui impliquent en particulier et en plusieurs domaines de relier une série de débats contemporains à des controverses oubliées de la philosophie, de se pencher sur des aventures théoriques et pratiques singulières advenues à des concepts, problématiques et mélanges du savoir, de rendre à la rigueur de leurs hérésies diverses figures subjectives hétérodoxes et hétérologiques capables d’insister dans l’utopie du présent. Engagées à des titres divers dans la reconstitution ou la formalisation de ces traversées moins ordinairement portées à la visibilité de la connaissance, ces recherches exhument, accueillent et systématisent plusieurs enjeux spécifiques : ceux d’un droit et d’une gouvernementalité liés à la question de l’émancipation (N. Grangé, O. Irrera) ; d’une sociologie générale du travail ouverte à son foyer métaphysique (E. Lecerf) ; d’un espace public démultiplié par des fondations anarchiques de l’intelligible (B. Ogilvie) ; d’un devenir historique contesté dans ses partages internationaux et post-coloniaux (Y. Kisukidi, O. Irrera, G. Sibertin Blanc) ; du corps politique disséminé et réinventé dans sa destination commune au gré de la circulation des paradigmes théoriques, des dominations et exploitations économico-politiques, des recréations d’altérités (Y. Kisukidi, F. Cherif Zahar, B. Ogilvie, G. Sibertin Blanc).

Cet axe de recherche, qui noue de nombreux partenariats avec des universités et centres de recherches étrangers, tient entre autres un séminaire interne sur les Archives non européennes de philosophie et un séminaire permanent à la Maison de l’Amérique latine intitulé Dialogues philosophiques. Rencontres philosophiques entre chercheurs de l’Amérique latine, de l’Europe et de la Caraïbe.