Appel à communications. SALC 2025. De la monstruosité et du monstre en politique 26-28.05.2025
Appel à communications
11ème Colloque de philosophie de la Semaine de l’Amérique Latine et des Caraïbes
De la monstruosité et du monstre en politique
26 et 27 mai 2025 : Université Paris Cité, 10-16 rue François Dolto, 75013 Paris
28 mai 2025 : Maison de l’Amérique latine, 217 Bd Saint-Germain, 75007 Paris
Organisé par : LLCP Université Paris 8, LCSP Université Paris Cité, IHEAL Université Paris Sorbonne, Les dialogues philosophiques de la Maison de l’Amérique latine, RIPC (FMSH), GID Académie des Sciences.
Avec le soutien de : Collège international de philosophie, Université de Picardie Jules Verne, Instituto Gino Germani de l’Université de Buenos Aires, Université du Chili, Université Nationale de Tucuman, Université de Los Lagos, Université La República de Montevideo, Université Autonome de Mexico, Université Fédérale de Rio de Janeiro, Université de Séville, Université Autonome de Barcelone, Université de Barcelone.
Comité d’organisation : Gisele Amaya Dal Bo, Francesca Belviso, Alejandro Bilbao, Jean-Jacques Cadet, Julio Canhada, Gustavo Celedón, Felippe Ceppas, Gustavo Chataigner, Alexis Chausovsky, Michèle Cohen-Halimi, Maurizio Coppola, Fedra Cuestas, Marie Cuillerai, Sameh Dellaï, Guadalupe Deza, Rodrigo Díaz Maldonado, Stéphane Douailler, Louise Ferté, Jean-René Garcia, Baptiste Gillier, Claudia Gutiérrez, Anne Kupiec, Guillaume Leblanc, Laura Llevadot, Luz María Lozano, Martin Macias Sorondo, Maia Minnaert, Pierre-François Moreau, Inés Molina Navea, Francisco Naishtat, Bertrand Ogilvie, Natalia Prunes, Silvana Rabinovich, Lucie Rey, Mercedes Risco, Federico Rodríguez Gómez, Alfredo Sánchez Santiago, Diogo Sardinha, Patrick Vauday, Francisco Verardi Boca, Patrice Vermeren, Pauline Vermeren, Susana Villavicencio, Ricardo Viscardi, Agostina Weler.
Calendrier de la préparation du colloque :
15 mars 2025 : Date limite pour la confirmation de la participation.
1er mai 2025 : Envoi du titre définitif et résumé.
Adresse de courriel : colloquedephilosophiesalc@gmail.com.
Appel à communications FR/ES/PT (PDF)
Des évènements récents de la scène politique, parmi bien d’autres le renversement de celui qu’on a appelé « le boucher de Damas » et la réélection de Donald Trump remettent en lumière la figure du monstre dont il reste à se demander quelle part y revient à l’imaginaire ou au concept. Il n’y a pas de monstre minéral, il n’y a pas de monstre mécanique, il n’y a de monstre que vivant. Cet énoncé, tel qu’il est formulé par Georges Canguilhem dans son cours sur le normal et le pathologique en 1942 à Clermont-Ferrand1, intervient tandis qu’il cherche à démontrer que le normal est en rapport avec le point de vue subjectif du patient, et que c’est la vie elle-même et non le jugement médical qui fait du normal biologique un concept de valeur, et non pas un concept de réalité statistique. C’est ainsi qu’il en vient au monstre et à l’impossibilité d’éliminer tout jugement de valeur dans l’identification des monstruosités. Il remarque d’abord que, pour l’Antiquité, le monstre était un avertissement des Dieux, une manière de manifester leur colère, et que cela vaut aussi pour le Moyen Âge, et jusqu’aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les monstres sont des êtres contre nature ou des caprices des Dieux. L’Orient les divinise, la Grèce et Rome les sacrifie, pour le Moyen Âge, les montres sont le produit d’un accouplement entre l’homme et la bête, la conséquence d’un carnaval des animaux après boire. Une diabolisation qui se déplace progressivement d’un concept essentiellement juridique vers une catégorie de l’imagination, quand la perception d’un simulacre entraine les mêmes effets que la perception de l’objet, et quand les passions, le désir et les dérèglements ont des effets semblables (Malebranche).
Les choses changent fin XVIIIe siècle, singulièrement avec la naissance de la tératologie, science des monstres. Dans De l’histoire générale et particulière des anomalies de l’organisation chez l’homme et les animaux (1832), Isidore Geoffroy Saint Hilaire propose de classifier les anomalies selon leur degré de complexité et de gravité. Le monstre est un écart par rapport à la norme, ou plus exactement une anomalie, comme toute autre déviation du type spécifique. Il n’est pas l’autre radical de la norme, il n’est pas anormal. C’est le premier traité de tératologie vraiment scientifique et objectif où la monstruosité est étudiée comme fait naturel, c’est-à-dire obéissant à un déterminisme. Et non plus comme fait normatif. Geoffroy Saint Hilaire et son fils Isidore Geoffroy Saint Hilaire ont proposé des anomalies une explication longtemps classique. La plupart des anomalies – notamment les anomalies par déplacement d’organes – doivent être considérées comme résultant seulement de la persistance d’une disposition qui existe normalement pendant la vie utérine. De sorte que du point de vue tératogénique, le fait tératologique s’explique par un arrêt de développement. Par exemple, le pied bot, la persistance du trou de Botal ou du canal artériel (maladie bleue), le bec de lièvre. En somme, en replaçant l’anomalie dans la perspective ontogénétique, on est conduit à définir l’anomalie non comme une absence de normalité, mais comme une normalité à contre-temps. L’anormal d’aujourd’hui, c’est le normal d’hier. La monstruosité est une espèce du genre « anomalie ».
Quelle proximité cette généalogie du concept scandée par la naissance de la tératologie entretient-elle avec celle du monstre politique ? Cicéron avait trouvé l’incarnation de celui-ci dans Antoine, non pas un homme criminel et scélérat, mais une bête monstrueuse et répugnante, Tacite chez Néron, matricide, pyromane, criminel et persécuteur, Suétone avec Caligula, qui dans sa folie, se prenait pour l’égal d’un Dieu. Yves-Charles Zarka2, attribuant ainsi à la Rome antique le commencement de cette dénomination monstrueuse du tyran, montre d’après Michel Foucault3 comment cette figure opère une métamorphose avec la Révolution française : « le despote est celui dont l’existence fait corps avec le crime, dont la nature est donc identique à la contrenature ». Ayant rompu le pacte social qui assure la pérennité de la société, il est selon Saint-Just l’ennemi qu’il faut abattre, parce qu’il ne peut plus relever de ce contrat, comme ce sera le cas pour le criminel-né selon la psychiatrie du XIXe siècle. Soit une figure qui peut se retrouver en miroir dans le discours contrerévolutionnaire, où le peuple révolté devenu classe dangereuse épouse l’image inversée du monarque sanguinaire et du criminel ordinaire. A l’opposé de cette naturalisation du monstre politique, l’État Léviathan de Thomas Hobbes le déréalise, mixte d’un animal, d’un homme artificiel et d’un Dieu mortel, devenant, selon l’expression de Nietzsche, le plus froid des monstres froids.
Au vingtième siècle, le monstre passe de la tératologie à l’anthropologie. Le couple cannibalisme/inceste qui caractérise le monstre du XVIIIe siècle au XIXe siècle est le thème privilégié de Lévy Bruhl à Lévi Strauss, comme chez Freud. Puis, la figure du monstre rejoint l’économie générale des devenirs humains : on ne se débarrasse pas d’Eichmann en le grimant en monstre (H. Arendt), mais en soumettant la socialité à la politique. Le monstre est aussi une figure littéraire, du Macbeth de Shakespeare qui incarnait au XVIIe siècle la corruption du pouvoir et la tyrannie sanglante jusqu’aux œuvres latino-américaines du XXe siècle, comme Bomarzo de Mujica Láinez revisitant la monstruosité de la Renaissance italienne ou « La fiesta del monstruo » (1947) de J.L. Borges et A. Bioy Casares, où la monstruosité se déplace des chimères littéraires –comme celles imaginées par Bioy dans L’Invention de Morel (1940)– vers une incarnation collective : un peuple démesuré, violent et fanatisé, guidé par l’aveuglement envers un chef populiste. Si la figure du « monstre-dictateur » ou du « monstre politique » est récurrente dans les représentations des dérives politiques, l’originalité du récit réside ailleurs. Au-delà de la dénonciation attendue d’un tyran et de ses sbires, c’est la langue même de cette foule anonyme que les auteurs dépeignent comme monstrueuse : une langue hybride, mêlant cocoliche, lunfardo et castillan, dont l’agrammatisme grotesque devient le miroir d’une déraison politique supposée.
Dans un contexte plus contemporain, où prolifèrent les versions matérialisées du golem –monstre mythologique à la fois protecteur et menaçant–, émerge aussi une interrogation cruciale : celle de la « monstruosité » des êtres technologiques. Ces créations, loin des « monstres romantiques » hantés par leur humanité tragique (comme le vampire, figure maudite oscillant entre séduction et damnation), incarnent une altérité radicale. Fascinants, mais aussi inquiétants (Unheimliche), ils obligent la tératologie et sa critique à repenser leur champ d’action. En intégrant ces entités issues de la raison, la science des monstres ne se contente plus d’analyser des anomalies biologiques : elle réinterroge la biologie elle-même, tout en élargissant, sur le plan politique comme dans la définition normative de « l’humain », les frontières du champ critique originel de la tératologie.
De nos jours, sur le plan proprement politique, peut-on soutenir que la société démocratique produit un état d’être qui ignore la destruction du monde commun et de l’esprit civique, voué à la pure consommation et soumis à la domination s’exerçant désormais sous l’emprise d’un maître anonyme ? Ou bien, comme l’analyse biopolitique de Negri le propose, y a-t-il lieu de mettre l’accent sur les formes de subjectivité engagées dans des résistances contre les institutions, et constituer le monstre comme métaphore de la transcendance du pouvoir politique ? Si les monstres biologiques questionnent l’ordre de la vie, comment penser aujourd’hui du point de vue de la tératologie politique (que Filippo del Lucchese nomme la « tératopolitique4 ») les effets de domination et de résistance produits par les monstres politiques dans l’ordre ou le désordre des hiérarchies éthiques et politiques ? Ou bien faut-il déplacer la question : si le système de la représentation « tient le coup et trouve le moyen de s’arranger avec les anomalies et les monstres qu’il secrète5 », porter alors attention aux présents, à chaque instant que se renouvellent les liens de la servitude inégalitaire ou que s’inventent les chemins de l’émancipation.
1 Georges Canguilhem : « De la monstruosité », cours donné pour la Faculté des Lettres de Strasbourg à Clermont-Ferrand, 1942-43.
2 Yves-Charles Zarka : Métamorphoses du monstre politique, Paris, Puf, 216.
3 Michel Foucault : Les Anormaux, cours au Collège de France, 1974-1975, Paris, Gallimard/Seuil, 1999.
4 Filippo del Lucchese : Conflit, droit et multitude chez Machiavel et Spinoza, Paris, Amsterdam, 2010.
5 Jacques Rancière : En quel temps vivons-nous ? Paris, La fabrique, 2017.