À l’approche du 150ème anniversaire de la Commune de Paris, nous souhaitons engager un travail sur la pensée et sur l’action effective de la Commune. Il nous semble en effet que le poids de diverses légendes persiste à occulter tout ou partie du sens de cette séquence historique, comme le déplorait déjà un des premiers historiens de la Commune : le journaliste Lissagaray. Si, selon le mot célèbre de Marx, la République sociale de Paris (18 mars/28 mai 1871), constitua un véritable « sphinx mettant l’entendement bourgeois à si rude épreuve », la réflexion sur les énigmes qu’elle posa fut fréquemment entravée par des formations idéologiques rivales (des légendes) faisant écran entre la Commune et notre compréhension de celle-ci : la légende noire versaillaise caricatura la Commune, la légende rouge du marxisme officiel la mythifia et la prolétarisa, la légende bleu-blanc-rouge du républicanisme d’ordre la rejeta vers le passé et en minimisa la portée, afin de magnifier l’œuvre du parlementarisme de la IIIe République.
En contrepoint, de nombreuses recherches ont abondé notre connaissance de la Commune, parmi lesquels on peut citer les travaux anciens des premiers historiens de la Commune et de Maurice Dommanget, ou les travaux plus récents de William Serman, Robert Tombs, Jacques Rougerie et Henri Lefebvre, sans oublier certaines publications contemporaines, telles que celles de Kristin Ross.
Parallèlement, un nouvel intérêt pour les récits et les analyses des protagonistes de l’époque a permis la découverte ou la redécouverte des écrits de Benoît Malon, Victorine Brocher, Gustave Lefrançais, Jules Andrieu, Jean Allemane, Alix Payen, etc. De leur côté, les archives contiennent encore de multiples informations sur ce qui s’est passé avant la Commune, mais aussi pendant celle-ci dans les bataillons de la Garde Nationale, dans les clubs, dans les mairies d’arrondissement, dans la presse, dans les organisations, etc. Leur exploration progressive permet d’affiner ou même parfois de révolutionner notre compréhension de la Commune.
Le 150ème anniversaire de la Commune doit être l’occasion de poursuivre ce travail d’élucidation, en lui ajoutant une dimension trop souvent négligée au profit des aspects militaires, événementiels et politiciens : la dimension philosophique de la compréhension de la Commune. Quelles problématisations et quelles conceptions de l’État, du commun, du social, du travail, de l’égalité, de la République, de l’enfance, de l’éducation, de l’art, de la culture, de la relation entre les femmes et les hommes, de l’émancipation, des échanges, de l’argent, de la propriété, de l’économie, de l’autorité, de l’étranger, de la laïcité (même si le mot "laïcité" n’était pas encore en usage), de la justice, de la morale, de la science, de la violence, de la vie et de la mort, etc., circulaient dans le mouvement et au sein des acteurs de la Commune ? Sur tous ces points, on ne peut plus se contenter de dire que la Commune avait lu surtout Proudhon mais n’avait pas pu lire Marx, puisque que le Manifeste du Parti Communiste, rédigé en 1848, n’avait toujours pas été intégralement diffusé en français en 1871, tandis que la première traduction partielle du Capital ne parut qu’en 1872. On ne peut plus non plus se contenter de négliger la place de la Commune dans l’histoire des pensées républicaines, des pensées socialistes, des pensées libertaires, des conceptions syndicalistes révolutionnaires et, plus globalement, dans les débats et les élaborations conceptuelles propres au(x) mouvement(s) ouvrier (s) et révolutionnaire(s). Au regard des enjeux historiographiques et des enjeux contemporains, il est important de revenir, par une étude collective rigoureuse, au plus près de ce que pensaient et exprimaient les acteurs de la Commune.
Pour traiter ces différents aspects, nous suggérons de suivre principalement, mais pas exclusivement, trois axes croisés :
- a) La pensée politique et philosophique de la Commune, dans son rapport fondamental à la question de l’émancipation et/ou de la libération ? ;
- b) La politique scolaire et éducative de la Commune ? ;
- c) La place et le sens de la Commune dans l’évolution de la philosophie républicaine et sociale, notamment dans la perspective du lien entre laïcité et égalité.