Journée doctorale. Les langues de l’émancipation : quelles traductions pour la démocratie ? 23.05.2022

Journée doctorale
Les langues de l’émancipation : quelles traductions
pour la démocratie ?
 
Illustation :
Hugo AVETA. « La fascination de la faille » (2019)
 
23 mai 2022
 
Campus Condorcet
Place du Front populaire [Aubervilliers]
Centre des Colloques
Salle 100
 
 
 
 
Après la chute du mur de Berlin, la proclamation de la fin de l’Histoire et la déclaration de la démocratie libérale en tant que seul régime politique possible et désirable dans un monde unipolaire, la révolution et ses multiples traductions émancipatrices sont apparues comme un horizon caduc. Un futur passé ou un passé futur qui resurgit néanmoins à chaque fois que les apories de la démocratie représentative laissent apparaître ses failles et ses faiblesses.
Il est possible de considérer que ces résurgences répondent, précisément, au fait que dans le monde contemporain, la démocratie se présente de nos jours comme un modèle neutre et autorégulateur. C’est-à-dire, comme une forme de gestion qui trouve dans une série d’intermédiaires, de contrôleurs et de dispositifs de consensualisation des mécanismes de gouvernabilité objectivés à travers la technique administrative, qui répondent à l’impératif d’adaptation d’un monde global synchronisé. Ainsi, d’anciens termes propres à la réflexion sur les rapports tendus entre gouvernement, État et démocratie, laissent la place à d’autres, plus proches de l’univers du management : « accès », « gouvernance », « usagers », « confiance » ou « outils » sont des exemples qui se multiplient.
Dans ce contexte, les deux premières décennies du XXIe siècle ont été marquées de manière explicite par une remise en question non seulement du modèle de l’État-providence, avec ses aspirations à un idéal de justice sociale, mais aussi des libertés individuelles qui étaient autrefois considérées comme en tension avec ce modèle d’État, à tel point qu’on a vu se produire ce qui a été qualifié de « régression de l’État de droit ». Si l’on adopte une lecture proche de celle de Jacques Rancière, on peut interpréter ce phénomène comme le résultat d’une extension de la logique policière contre la logique politique émancipatrice qui ne saurait se dire dans la langue du marché et de la gestion.
Or, si autour des langues se joue la question de la démocratie, force est de poser la question spécifique du langage. La dés-ethnicisation de la langue nationale en tant qu’entité neutre et la dialectalisation ou la sous-valorisation des certaines variantes linguistiques selon le point de vue du « devenir naturel » sont des questions intrinsèques à certains processus de domination politique, démographique, économique et culturelle, généralement prônés par une idéologie linguistique nationaliste qui appuie sa légitimité sur certaines institutions.
En ce sens, en rendant la pluralité manifeste, la traduction intervient comme un des « lieux » possibles de l’émancipation, premièrement, dans un sens large, en tant que lieu de prise de parole, permettant la transformation des expériences en mots et puis leur partage. Deuxièmement, si la dimension politique de la traduction réside aujourd’hui notamment dans sa définition en termes d’une « négociation » constante, ceci lui permettrait, en quelque sorte, d’échapper à un calcul prémédité, elle devient un espace particulièrement propice pour repenser la démocratie.
En tant que champ polémique à ré-signifier, la démocratie se prêterait ainsi à un travail de retraductions selon la région discursive et la langue dans lesquelles on la voit réapparaître. À côté de la question de la philosophie politique classique « qu’est-ce que la démocratie ? », une autre émerge, « démocratie, dans quelles langues ? ». Traduire la démocratie pourrait alors exprimer les formes que la démocratie a pris historiquement, mais surtout celles qu’elle est susceptible de prendre dès lors qu’on donne à voir les récits marginalisés et mis à l’écart dans la lutte pour la parole.
Il faudrait donc considérer non seulement les enjeux problématiques des concepts tels que l’émancipation ou la démocratie, mais aussi envisager la construction d’une pensée alternative des alternatives possibles. Les questions sous-jacentes à cette approche sont ainsi les suivantes : une émancipation linguistique est-elle possible ? Ou, plus largement : une démocratie sans institutions est-elle envisageable ?
 
 
PROGRAMME
 
13h Ouverture
Gisele Amaya Dal Bó, Martin Macías Sorondo, Sabrina Moran, Natalia Prunes et Agostina Weler
 
13h30-14h30 Cartographies de l’émancipation : les luttes démocratiques au XXI siècle
 
Jonas Tabacof Waks (USP - Paris 8, LLCP) : La notion d’émancipation chez Jacques Rancière
 
Lucía Vinuesa (UNR - PARIS EST) : L’émancipation et le droit au temps libre d’après Jacques Rancière
 
14h30-15h30 Formalisations et paradoxes de la démocratie dans les langues du droit et des sciences sociales
 
Noelia Noya Iglesias (EHESS - UNGS) : Institutions de participation et de représentation politiques locales : une réflexion sur leurs paradoxes à partir du cas de la Ville de Buenos Aires
 
Gisele Amaya (Sorbonne Paris-Nord) : La démocratie libérale face au fascisme : une lecture à partir de « La structure psychologique du fascisme » de Georges Bataille
 
Pause café
 
16h-17h Émancipation : une démercantilisation et dépatriarcalisation des langues ?
 
Martín Macías Sorondo (Paris 8, LLCP) : Gouvernementalité et gouvernance : le maniement des hommes et la langue managériale
 
Natalia Prunes (Paris 8, LLCP) et Leandro Pose (UBA) : Pour une approche décolonialiste de l’histoire de la langue espagnole
 
Emmanuel Romero (UBA - Paris 8) : Peuple et territoire dans le récit nationaliste de Ricardo Rojas. L’intrahistoire unamunienne et la géographisation de l’histoire de l’historiographie française
 
17h15-18h45 Traduire la démocratie, démocratiser la traduction
 
Sebastian Kock (Université Paris 1) : La Landvolkbewegung au Schleswig Holstein dans les années 1920s – L’échec d’une tentative d’émancipation ?
 
Alexis Chausovsky (UNL - Paris 8) : Publikum et Öffentlichkeit, les antipodes pour traduire la démocratie de Weimar selon Siegfried Kracauer
 
German Rodrigo Aguirre (UBA - Paris 7) : Les sens de la démocratie en dispute : notes sur l’yrigoyénisme argentin (1916-1930) à l’aide de l’histoire des concepts
 
18h45 Discussion et mots de clôture
 
 
Comité d’organisation : Gisele Amaya Dal Bó (Sorbonne Paris-Nord), Martín Macías Sorondo (Paris 8, LLCP), Sabrina Morán (Sorbonne Paris-Nord), Natalia Prunes (Paris 8, LLCP) et Agostina Weler (Paris 8, LLCP).