Journée d’études. La crise de l’intellectuel marxiste au tournant des années 1980 20.11.2021

Laboratoire d’études et de recherches sur les Logiques Contemporaines de la Philosophie

La crise de l’intellectuel marxiste au tournant des années 1980
Journée d’études, samedi 20 novembre 2021, 15h00-19h00

 Affiche-Programme (PDF)
Organisation : Giovanni Campailla, Pierre Girier-Timsit, Guido Grassadonio

 

Première séance
Modérateur : Giovanni Campailla

15h00 – Fabrizio Carlino : « Le travail théorique dans la crise du marxisme : le statut du concept chez Althusser »
15h30 – Jussi Palmusaari : « Between Strategy and Truth : Intellectuals, Theory, and Practice After Gauchisme »
16h00 – débat

Deuxième séance
Modérateur : Pierre Girier-Timsit

16h30 – Antoine Aubert : « Mort ou invisible ? Les marxismes des années 1980 lus à partir des commémorations de 1983 »
17h00 – Jean-Numa Ducange : « Un symptôme de la crise du marxisme : la commémoration de la Révolution française en 1989 »
17h30 – débat

Troisième séance
Modérateur : Guido Grassadonio

18h00 – Michael Löwy : « Lucien Goldmann et Daniel Bensaïd sur le pari pascalien dans le marxisme »
18h30 – débat

 

La journée se tiendra sur Zoom à l’adresse : https://urly.it/3fy-w
Pour toute information, écrire à cim80@mailo.com

 

Si dans un colloque de 1970, Lucien Goldmann avait diagnostiqué la crise profonde du marxisme et de ses attentes révolutionnaires, c’est dans la deuxième moitié de cette décennie que ce discours s’impose réellement. On voit cela par exemple avec Louis Althusser qui prend ce thème comme sujet de réflexion spécifique. En 1978, dans Ce qui ne peut plus durer dans le Parti communiste, il estime qu’une « crise générale du marxisme » est en cours, tout à la fois « crise idéologique, politique et théorique ». Cette crise se manifeste notamment par la désaffiliation d’intellectuels au marxisme : à partir de la moitié des années 1970, on voit en France d’anciens maoïstes accéder à la notoriété en tant que « nouveaux philosophes » ; tandis qu’en Italie une opération similaire est mise en acte par Lucio Colletti, dont le parcours de critique du marxisme aboutira finalement à l’adhésion à Forza Italia durant les années 1990. Mais la révolte touche également des intellectuels qui réorientent la pensée de l’émancipation radicale, comme c’est le cas de Jacques Rancière, repensant l’égalité comme présupposé plutôt que comme objectif à atteindre.
Le contexte général des années 1980 – que Félix Guattari a qualifié d’« années d’hiver » – est donc malaisé pour les intellectuels critiques de formation marxiste. L’emblème de cette crise réside peut-être dans les Commentaires à La société du spectacle (1988) de Guy Débord qui, au-delà de ses contenus théoriques, constituent une image tragique de la solitude et de l’isolement de l’intellectuel militant.
Mais la crise du marxisme ne coïncide pas avec sa disparition ou avec son involution auto-référentielle, suscitant un réaménagement de la pensée. Le cas d’Étienne Balibar est exemplaire : ayant été expulsé du PCF en 1981 après la publication d’un article critique sur le Parti dans Le Nouvel Observateur, il poursuivra son travail en s’interrogeant sur la posture même de l’intellectuel marxiste ainsi que sur des sujets tels que les transformations du prolétariat migrant et la citoyenneté. Dans cette perspective, il va formuler sa « proposition de l’égaliberté » qui répond de manière critique au débat sur le bicentenaire de la révolution française marqué par l’opposition véhémente entre des libéraux emmenés par François Furet clairement opposés à la tradition jacobine et l’école marxiste, Michel Vovelle dirigeant la commémoration scientifique de l’événement.
Touchés par le stigmate du révolutionnaire de profession, qui en ce contexte empêche leurs carrières individuelles, les intellectuels deviennent des « spécialistes », lisant de manière rigoureuse les textes marxiens et y apportant parfois des formes d’hybridation : comme par exemple avec Spinoza, entreprise par Althusser et poursuivie au cours des années 1980 par Balibar et Antonio Negri. On voit aussi le développement de projets – tels que le Bulletin du MAUSS lancé par Alain Caillé en 1981 et plus tard Actuel Marx qui, autour de Jacques Bidet, Georges Labica et Jacques Texier, publie son premier numéro en 1987 – qui ne coupent pas les ponts avec le marxisme mais qui relance plutôt avec envergure un retour au marxisme en connexion à la nouvelle « question sociale » et aux nouveaux paradigmes en sciences humaines et sociales.
La défense du marxisme devient parfois l’occasion d’attaquer les positions d’auteurs qui avaient décidé de sortir du champ théorique de Marx, comme la charge de Frederic Jameson contre le post-modernisme (1984). D’autres interventions sont plus nuancées : on peut citer le recueil d’essais contre le structuralisme publié en 1984 par Lucien Sève, où l’on retrouve deux articles écrits en 1983 et 1984 voués à la défense de la dialectique hégéliano-marxiste à l’intérieur des sciences humaines.
On peut aussi interpréter comme symptomatique de cette époque le choix de Michael Löwy de proposer une théorie sociologique marxiste de la figure des intellectuels militants centrée sur la notion de romantisme. Son essai de 1989 dédié aux rapports entre théologie de la libération et marxisme constitue une tentative d’échapper au point de vue euro-centré propre à une large partie du marxisme précédent.
Ce besoin de se libérer de l’obsession pour l’Occident, mais aussi d’une conception machiste de l’histoire et des rapports politiques, est la clé pour comprendre beaucoup de tentatives visant à faire sortir le marxisme de ses impasses. Cela a conduit à certains des travaux contemporains parmi les plus originaux, comme ceux de Silvia Federici ou de Gayatri C. Spivak.
Ce besoin d’un changement de perspective est aussi probablement lié à la nouvelle perception de l’ouvrier. La théorie critique de l’École de Francfort selon laquelle la classe ouvrière classique avait perdu son caractère de centralité dans la société et dans la lutte pour le socialisme, se transforme pendant les années 1980 en évidence. La figure de l’intellectuel marxiste doit alors se réinventer dans ce nouveau contexte, orphelin du sujet de la révolution contraint de se repositionner par rapport à la classe travailleuse dont la composition est en train de changer rapidement.

 


 

Pour toute question relative à l’événement, n’hésitez pas à nous contacter à l’adresse mail suivante : cim80@mailo.com

Affiche-Programme de la journée