Journées d’études internationales. Représentation, (in)capacité et violence 24-25.04.2018

Représentation, (in)capacité et violence :
Penser les « hors » lieux du politique et les conditions de toute (in)capacité des vies (non)soumises à ces espaces

JOURNÉES D’ÉTUDES INTERNATIONALES
24 et 25 avril 2018
MAISON DE LA RECHERCHE DE L’UNIVERSITÉ D’ÉTAT D’HAÏTI
31 rue Babiole (Turgeau) PORT-AU-PRINCE

 

 

 

Axe 2 du laboratoire LADIREP avec le soutien du Vice-Rectorat à la Recherche de l’UEH (Organisme de tutelle), la FOKAL (Organisme subventionnaire), le Laboratoire d’études et de recherches sur les Logiques Contemporaines de la Philosophie (LLCP EA 4008) de l’Université Paris 8 et l’Université Paris 7 Denis Diderot.

 

  Argumentaire

La (re)présentation et la capacité sont au cœur de toute théorie politique. Elles peuvent se loger de manière explicite ou implicite dans la marge de la théorie ou dans son centre. La représentation ne doit pas s’entendre ici dans le sens de « représentation » d’une chose absente par sa substitution par une autre comme c’est le cas dans la démocratie représentative où le peuple délègue son pouvoir à des représentants pour agir en son nom : le représenter. La représentation devient synonyme d’absence. La (re)présentation doit s’entendre comme mode de constitution et d’identification des groupes d’individus dans l’espace public, dans l’espace politique et dans les espaces culturels. Elle est l’une des conditions de visibilité/d’invisibilité, d’identification, de viabilité (Judith Butler) et de non viabilité pour certains individus/ ou groupes. En ce sens, l’accès aux espaces de représentation pour certaines vies constitue l’une des conditions de viabilité et de lisibilité. Être privé de toute lisibilité sociale, genrée, raciale et culturelle risque de priver ces vies de toute agentivité (agency) ou de puissance d’agir. L’exercice de la capacité les individus constitue l’une des conditions pour l’individu d’avoir une vie viable voire supportable. Car les conditions de vie peuvent se révéler insupportable pour les individus se trouvant insérés dans des rapports sociaux/raciaux et culturels anxiogènes et délétères.

Ces conditions de visibilité peuvent s’entendre aussi comme capacité de se présenter/se porter « hors de soi » pour pouvoir être reconnu, identifié par les autres. Cette tension qui traverse le concept de représentation en fait un concept ambigu, qu’elle (la représentation) renvoie à la fois à cette capacité intrinsèque desdits corps individuels à se faire reconnaître mais aussi à l’aptitude d’un espace politique, culturel, social, à reconnaître la pluralité des formes de vie qui valent la peine d’être reconnue comme vie digne. Cette ambigüité découle du fait que la représentation renvoie à la fois à visibilité et capacité de se présenter/ se porter « hors de soi » … ».

La « (re)présentation » politique, culturelle, publique constitue un lieu et un mode de manifestation et de reconnaissance des corps en tant qu’ils appartiennent à une corporation ou un mode d’individuation particularisé/singularisé. C’est ce qui fait que toute absence de conditions de l’exercice de la capacité de ces vies à travers la reconnaissance de leurs mémoires devient un signe d’a-présence dans l’espace politique ou d’a-présence au monde. L’individu privé de toute forme de présence dans l’espace public est un être relégué par le dispositif politique dans l’ordre des absents parce qu’il est privé des conditions de toute identification comme individu capable. Être (re)présenté, c’est être visible. Être visible, c’est pouvoir se faire entendre et agir. La non représentation (ou a-représentation) doit s’entendre comme la manifestation d’une volonté de rendre invisible. Ainsi, se (re)présenter, c’est aussi se rendre visible par une (contre) performance. D’où le fait que les espaces de (re)présentation soient assimilés à des lieux du politique ou des « hors » lieux du politique.

Qu’est-ce qu’un hors lieu du « politique », de la mémoire, de la visibilité ? Comment est- ce qu’ils se constituent comme tels ? Les lieux dits politiques marquent leur territorialité par rapport à ces « hors » lieux ! Les espaces considérés comme des « hors » lieux du politique peuvent devenir des lieux du politique en tant qu’ils donnent naissance à des scènes où une certaine vie apparait comme lieu de manifestation « d’un commun » en partage et l’exclusion de certaines vies de cet espace de reconnaissance de ce commun. Cette scène d’inclusion et d’exclusion c’est ce que Rancière nomme partage du sensible. Peut-on penser une passerelle entre les deux espaces : les lieux du politique et son envers ? En droit, le hors-lieu est décrété par l’autre : le juge de l’affaire.

La question des absences et des formes de présence de certains corps dans certains lieux du politique ou de la mémoire collective constitue l’un des nœuds de questionnement des sciences humaines, sociales et des luttes politiques. Être absent, c’est être invisible ou être rendu incapable ! Dans certains cas, Trop de présence peut s’entendre tout simplement comme être en situation de sur représentation dans un espace structuré par un archè qui sous-tend une ligne de séparation entre ceux qui appartiennent à l’ordre whiteness et ceux qui sont niés dans leur être par le fait qu’ils sont enfermés dans un espace assimilé à celui du blackness. Dans ce jeu spatial, les corps surdéterminés deviennent les lieux d’incarnation de ces jeux de lumière et d’obscurité. Il n’est pas superflu de se demander dans ces cas de figure : De quoi les « exclus » des lieux du politique, du culturel et de la mémoire du collectif sont-ils exclus lorsqu’ils réclament la réparation du tort subi ?

Les intervenants sont invités à choisir l’un des axes suivants :

  • Axe 1 : comment les lieux nouent (où défont) les identités collectives ou individuelles ?
  • Axe 2 : Comment les espaces esthétiques ou de l’art comme le cinéma, le roman et la peinture peuvent contribuer à l’avènement des scènes dissensuelles en créant des brèches dans l’ordre visuel hégémonique ? Une émancipation par ces espaces est-elle encore possible ?
  • Axe 3 : Qu’est-ce qu’un ethos individuel en dehors des espaces de représentation ? L’émancipation des lieux de représentions peut-elle se faire sans rendre ces vies indignes ?
  • Axe 4 : Comment penser une décolonisation des espaces sans reproduire les présupposés coloniaux ? Comment performer entre les espaces ?

 


 

Comité d’organisation : Jean Waddimir Gustinvil, Edelyn Dorismond, John Picard Byron, Odonel Pierre-Louis, Stéphane Douailler, Seloua Luste Boulbina, Kesler Bien-Aimé, Jerry Michel, James Engé.

Comité scientifique : Jean Waddimir Gustinvil (ENS-UEH, LADIREP), Edelyn Dorismond (CHCL-UEH, LADIREP), Jhon Picard Byron (FE-UEH, LADIREP), Odonel Pierre-Louis (ENS/FE-UEH, LADIREP), Stephane Douailler (Université Paris 8, LLCP – EA 4008), Seloua Luste Boulbina (Université Denis Diderot - Paris7), Lukinson Jean (CHCL/FE-UEH, LADIREP), Sabine Lamour (FASCH-UEH, SOFA), Adler Camilus (FE/ENS-UEH), Sonia Herzbrun (Université Paris7-Denis Diderot, Revue Tumulte), Louis-Rodrigue Thomas (ENS-UEH)

Participants et invités spéciaux

(Par ordre alphabétique)

  • Darline Alexis, Enseignante –chercheuse, ENS-UEH et Quisqueya.
  • Anabel Aguera, Doctorante, Université Paris 8, Laboratoire d’études et de recherches sur les logiques contemporaines de la philosophie, (LLCP).
  • Mimose André, Doctorante, Université Paris 8, Laboratoire d’études et de recherches sur les logiques contemporaines de la philosophie, (LLCP).
  • Kesler Bien-Aimé, Chargé de cours à l’UEH, Doctorant, école doctorale SHS de UEH, membre de LADIREP.
  • Seloua Luste Boulbina, Chercheure HDR rattachée à l’ Université Diderot Paris 7, Laboratoire LLC.
  • Claude Calixte, Enseignant-chercheur, ENS-UEH
  • Adler Camilus, Enseignant-chercheur, ENS-UEH
  • Jephthé Carmil, Artiste visuel, Doctorant Université Paris 7 Denis Diderot en codirection avec les Beaux-arts de Nantes, Laboratoire LCSP.
  • Marc-Félix Civil, Gynécologue- obstétricien, Docteur en philosophie et Enseignant-chercheur à la FMP et à la FE et de l’UEH.
  • Edelyn Dorismond, Docteur en philosophie, Enseignant-chercheur à l’UEH, Directeur de Programme au Collège International de Philosophie et responsable de l’Axe 2 de LADIREP.
  • Stéphane Douailler, Professeur émérite du département de philosophie de l’Université de Paris 8 et membre fondateur de son laboratoire de recherche sur les « Logiques contemporaines de la philosophie » (équipe d’accueil LLCP – EA 4008)
  • Jean Odile Etienne, Docteur en Géographie, Enseignant-chercheur, Laboratoire Dynamiques des Mondes Américains (LADMA/ENS), Université d’État D’Haïti, Université Publique de l’Artibonite aux Gonaïves (UPAG), Membre de l’UMR LADYSS, Université Paris 8 Saint Denis
  • Lukinson Jean, Docteur en sociologie, Enseignant-chercheur à la FE de l’UEH et à la FMP, membre du laboratoire LADIREP.
  • Rachel Magloire, Scénariste
  • Jerry Michel, Directeur Technique du Bureau National d’Ethnologie (BNE) Chargé de cours à l’UEH, Doctorant en sociologie en cotutelle à l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis et à l’Université d’État d’Haïti.
  • Odonel Pierre-Louis, Docteur en philosophie politique, Enseignant-chercheur, (ENS/FE), Membre du Laboratoire LADIREP.
  • Jean Marie Theodat, Enseignant-chercheur, ENS-UEH, Responsable du Master en Urbanisme Résilient (URBATer) de la Faculté des sciences de l’UEH, responsable du dossier Migration de l’OBMEC.
  • Louis Rodrigue Thomas, Docteur en philosophie, Enseignant-chercheur, Responsable du Master de philosophie de l’ENS-UEH.

 


 

PROGRAMME

 

Journée 1  : Mardi 24 avril 2018

09:00  : Accueil
09:45  : Propos d’ouverture du responsable scientifiques des JEI, Jean Waddimir Gustinvil
10:20  : Propos du responsable d’Axe, Edelyn Dorismond
10:30 : Propos du Directeur du laboratoire LADIREP, Jhon Picard Byron
10:40  : Propos du vice-recteur à la recherche, Jacques Blaise 

Conférence inaugurale :

  • « Vous avez dit, hors lieux de la politique ! La politique est-elle fragile ? », Edelyn Dorismond

Session 1 - 11:20 - 13 :00 : Liens et représentation dans les lieux - Président : Lenz Jean-François

  • 11:20 : « La violence dans la relation thérapeutique au sein des hôpitaux publics. Esquisse d’une analyse des enjeux de la démocratie sanitaire et du sujet médical autonome en contexte haïtien », Marc-Félix Civil et Lukinson Jean
  • 11:50 : « Se tromper de public cible. Comment les représentations que l’on se fait d’un public cible peuvent induire des erreurs didactiques », Darline Alexis et Louis Rodrigue Thomas
  • 12:20 : Questions et débats

Session 2 – 14:00 - 15 :40 - Présidente : Darline Alexis

  • 14:00 : « Une réflexion féministe à propos de la problématique postcoloniale », Mimose André
  • 14:15 : « Descartes aux études dé-coloniales et post-coloniales : ma subjectivité (cartésienne) est-elle une menace pour les altérités ? » Claude Calixte
  • 14:30 : « Les filles, sujets présents ou absents dans le système interactionnel éducatif : analyse en classe de mathématiques » Mislor Dexai
  • 14:45 : « Exposition et phobie iconologiques du duvaliérisme dans l’espace public », Kesler BienAimé
  • 15:00 : Questions et débats

15:20 Conférence plénière suivie à 16:00 de la clôture de la journée

  • « Une conquête de l’espace », Seloua Luste Boulbina

16:00 : Projection du film les enfants du coup d’État de Rachèle Magloire

 

Journée 2 : Mercredi 25 avril 2018

Conférence spéciale :

  •  09:00 : « L’historicité mythologique. La représentation par un théâtre d’ombres », Stéphane Douailler

9:40-10:40 : Table-ronde

  • « Les enfants du coup d’état », Rachel Magloire
  • « Violence genrée dévoilée », Maryse Jean-Jacques

Session 3 - 11:00 - 12:20 Esthétique, espace visuel et représentation

  • 11:00 : « Champ muséal en Haïti, un espace légitime de représentation mémorielle », Jerry Michel
  • 11:15 : « Performance et poétique d’émancipation », Jephté Carmil
  • 11:30 : « Représentations et territoires dans la reconstruction post- catastrophe de Port-au-Prince : approche par les inégalités socio- spatiales », Jean Odile Etienne
  • 11 :45 : Questions et débat

Session 4 : 14:00 - 15:20 L’espace et ses imaginaires : comment s’émanciper de l’espace sans perdre sa dignité ? Présidente : Seloua Luste Boulbina

  • 14:00 : « La politique, le politique et ses « hors » lieux », Jean Waddimir Gustinvil
  • 14:15 : « La critique de la raison coloniale et la violence de la langue », Adler Camilus
  • 14:30 : « De la représentation de l’autre à l’effacement de sa capacitation politique », Odonel Pierre-Louis
  • 15:00 : Questions et débats

15:20 : Table-ronde :

  • L’avenir de la philosophie en Haïti et les défis.

16:00 : En guise de clôture : Bilan des deux journées, Stéphane Douailler.

 


 

 Résumés des communications
(Par ordre alphabétique des noms de participants)

 

« L’interprétation spatiale du temps chez Glissant »
Anabel Aguera

La dimension spatiale, géographique, topographique ou terrestre joue un rôle fondamental dans l’œuvre de Glissant. Pourtant, cette dimension est souvent difficile à saisir et lorsque nous essayons de mesurer sa portée nous tombons facilement dans l’embarras. D’autre part, l’approche glissantienne du temps et de l’histoire pose aussi de graves problèmes. Elle a été durement contestée par un certain nombre d’auteurs qui reprochent à Glissant d’avoir négligé la question historique en réduisant les origines à de simples « traces » et en mettant l’accent plutôt sur l’aspect positif de la mise en relation, sans prendre au sérieux la blessure historique de l’esclavage et sans se demander, comme le fait d’autre part E. Dorismond, si le racisme, le colonialisme, etc. peuvent être aussi matière de « créolisation ». Peut-être ces deux questions (la dimension spatiale et la dimension temporelle) ne peuvent pas être abordées séparément, c’est pourquoi nous nous proposons ici de penser une dimension depuis l’autre, de traduire l’une dans l’autre et de développer par-là l’hypothèse suivante : face au régime historiciste du temps, Glissant aurait voulu penser un autre régime de temporalité qui briserait à jamais la flèche de l’Histoire. Pour cela, il se serait placé en-deçà de la détermination moderne du temps, définie à partir de l’élément qui distingue et oppose originairement le temps et l’espace, la réversibilité. Tandis que l’espace est réversible (car nous pouvons bouger dans toutes les directions – de droite à gauche et vice-versa) le temps est irréversible (car il ne cesse de s’écouler et que nous ne pouvons jamais revenir en arrière). Nous nous proposons d’explorer alors, à l’aide de Glissant, l’invraisemblable possibilité d’un temps réversible (spatial) et d’un espace irréversible (temporel). À partir de là, nous essayerons de reprendre quelques problèmes posés par l’espace et le temps glissantiens.

Anabel Aguera, Doctorante en philosophie, Université Paris 8, Laboratoire d’études et de recherches sur les logiques contemporaines de la philosophie, (LLCP) en co-tutelle avec l’UEH.

 

« Se tromper de public cible. Comment les représentations que l’on se fait d’un public cible peuvent induire des erreurs didactiques »
Darline Alexis et Louis Rodrigue Thomas

Utilisateurs actifs du numérique, et témoins de son impact sur les jeunes, les enseignants peuvent se montrer de plus en plus insensibles à la fracture numérique qui existe en Haïti. Ils sont enclins à choisir des modalités d’enseignement- apprentissage axées sur un usage des outils technologiques qui pénalise des catégories d’étudiants. Cette communication est la présentation d’une étude menée par un groupe d’enseignants-chercheurs sur l’usage des TIC dans deux universités haïtiennes.

Darline Alexis enseignante-chercheuse à l’ueh et l’université Quisqueya, ses travaux explorent de nombreuses questions dont celles des littératures francophones et didactiques.

Louis Rodrigue Thomasest Docteur en philosophie, enseignant-chercheur à l’ueh, responsable du master de philosophie de l’ENS.

 

« Une réflexion féministe à propos de la problématique postcoloniale »
Mimose André

 Dans mon intervention, je procéderai à une double démarche théorique. Je veux d’une part souligner critiquement que l’analyse de la problématique postcoloniale doit être plurielle, multidisciplinaire et d’autre part ponctuer que l’approche théorique de deux courants féministes (le féminisme socialiste de type beauvoirien et l’afro-féminisme (black feminist)) constituent deux puissants instruments d’enrichissement intellectuel pour l’élucidation de la question et la recherche de ses solutions.

Mimose André, Doctorante en philosophie. Université Paris 8. Laboratoire d’études et de recherches sur les logiques contemporaines de la philosophie, (LLCP). Thèse de doctorat : La philosophie politique de Simone de Beauvoir. Le projet d’un féminisme socialiste. Professeure de philosophie en Terminale et à l’Institut de Formation Continue des Directeurs et Professeurs (IFOCDIP) Faculté des Sciences de l’Education.

 

« Exposition et phobie iconologiques du duvaliérisme dans l’espace public »
Kesler Bien-aimé

De l’inter-iconicité des images qui se réfèrent au duvaliérisme à leur entrecroisement (arrangé) sur des surfaces exposables ou montrables s’opèrent des rencontres graphiques aux intentions mémorielles et politiques. Dans les deux sens, au nom des victimes du régime des Duvalier (père et fils) ou au nom d’une nostalgie de pouvoir incarné par le « Tout-puissant » François Duvalier, ces opérations revendiquent un travail de mémoire ou un devoir de mémoire qui circonscrit son action sur des faits politiques qui se sont produits entre 1957 et 1986. Les tenants du versant de cette mémoire à certifier s’appuient sur l’image photographique et vidéographique pour véhiculer un message absolu et binaire que nous résumons par la maxime « pour ou contre Duvalier ? ». Cet angle réduit l’univers politique haïtien et antagonise les points de vue des animateurs de la mémoire « pour ou contre » le duvaliérisme empêchant ainsi toute considération perspectiviste de G.W Leibniz (Gaudemar, 2005) sur cet univers. Or ceux et celles qui agissent sur le façonnement de cette mémoire sont surtout impliqués dans des projets de société opposables. Cette communication est un extrait d’un chapitre ma thèse en construction, sur la représentation de l’iconographie du duvaliérisme : pratiques politiques, mémorielles et défi de commémoration. Ces présentes recherches sont entrain de problématiser, à la fois, toute action de mise en mémoire des opposants aux régimes et toute velléité de perpétuer la mémoire politique du régime dans un espace public où la production et la réception de l’image sont souvent contextualisées, décontextualisées et récontextualisées. Face à un public de plus en plus demandeur d’images qui prennent des faits ; le militantisme visuel semble recourir au graphisme, à l’expographie pour surprendre le regard. Sachant que le sens d’une image provient des relations (Cosette, 1983), peu importe le niveau de cruauté ou d’équité qu’elle représente, j’invite au questionnement de l’affect provoquée par cette image et aux effets durables des mobilisations sociales qu’elle envisage.

Kesler Bien-aiméest chargé de cours à l’UEH, Doctorant, Programme doctoral « sciences humaines et sociales » de l’UEH et Membre du Laboratoire Langages, Discours et Représentations (LADIREP).

 

« Une conquête de l’espace »
Seloua Luste Boulbina

Lieu d’ensevelissement et d’enfouissement, le cimetière apparait comme un lieu autre et surtout un contre-espace, à l’instar du bordel. Les corps sont ainsi inventés autrement qu’au grand jour. Leurs rapports sont à la fois de transition et de transaction. L’impuissance et la jouissance, la puissance et la souffrance colonisent la pratique. Comment transformer l’hétérotopie coloniale en espace des capacités d’agir ? Comment désensorceler les représentations ? Comment traiter les lignes symboliques qui distinguent les morts des vivants et les femmes des hommes ? Comment, pour finir, faire du contre-espace colonial un espace partagé du désir et de l’action ? La production d’un monde commun, qui donne sens à l’espace - et au temps - est difficile à concevoir. Elle l’est plus encore lorsque la ségrégation spatiale a divisé et séparé toutes celles et ceux qui ont été ou sont constitués comme des surnuméraires, des « moins que rien ». Dès lors, comment compter ? Il n’est sûr que la fratrie ou la patrie soient des modes d’être qui le permettent véritablement. Cela fait sans doute partie des désenchantements de la décolonisation.

Seloua Luste Boulbina est philosophe, ex-directrice de programme au Collège International de philosophie à Paris, chercheuse (HDR) à l’Université Diderot Paris 7. Théoricienne de la décolonisation, elle s’intéresse aux questions coloniales et postcoloniales, dans leurs dimensions politiques, intellectuelles et artistiques. Elle est l’auteure de L’Afrique et ses fantômes. Écrire l’après (Présence Africaine, 2015), Les Arabes peuvent-ils parler ? (Blackjack 2011, Payot Poche 2014), Le Singe de Kafka et autres propos sur la colonie (Sens Public, 2008) et Grands Travaux à Paris (La Dispute, 2007). Elle a dirigé de nombreux ouvrages, notamment : Dix penseurs africains par eux-mêmes (Chihab, 2016), La Migration des idées (en ligne, #1, 2013, #2, 2014), Décoloniser les savoirs (La Découverte, 2012), Révolutions arabes : rêves, révoltes, révolutions (Lignes, 2011), Un monde en noir et blanc, Amitiés postcoloniales (Sens Public, 2009) ou Réflexions sur la postcolonie (PUF, 2007). Elle a travaillé sur et avec des artistes et collaboré à de nombreux catalogues d’exposition.

 

« Descartes aux études dé-coloniales et post-coloniales  : ma subjectivité (cartésienne) est-elle une menace pour les altérités ? »
Claude Calixte

L’objet de cette communication est la convocation de Descartes au procès de la modernité coloniale intenté par la pensée critique postcoloniale et /ou décoloniale (convocation qui se justifie par le tournant épistémique du procès). En fait, l’acte d’accusation désigne l’auteur des Méditations comme « l’inaugurateur de l’ego- politique de la connaissance ». Il s’agira d’interroger le fondement du rapprochement opéré par la critique décoloniale entre le « je pense donc je suis », l’ego sum cartésien et l’égo-politique colonial. L’affirmation de soi du sujet cartésien est-elle celle de l’homme blanc hégémonique, eurocentrique qui avance masqué ? Lui permet-elle d’occulter plus efficacement les autres altérités, leur enlevant ou leur niant ainsi leur dignité ? L’affirmation de soi, telle qu’elle est découverte et expérimentée dans la philosophie cartésienne est-elle une menace pour autrui ? Est-il impossible de point de vue cartésien de se subjectiver sans assujettir ; de s’émanciper sans soumettre, asservir ou indigner ? M’est-il impossible de m’affirmer là où un autre s’affirme ? Sinon, quel rapport constructif la pensée critique décoloniale peut-elle entretenir avec Descartes ? L’un des enjeux de cette question est de savoir si Descartes ne peut pas s’inviter aux études décoloniales avec un statut autre que celui de figure de repoussoir dont il fait objet.

Claude Calixte est docteur en philosophie de l’Université de Lyon/ ENS-LSH, il enseigne à l’ENS-UEH.

 

« La critique de la raison coloniale et la violence de la langue »
Adler Camilus

Si la frontière entre langue (Bill Ashcroft, alii, L’Empire vous répond, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux « Sémaphores », 2012. Émilienne Baneth-­ ?Nouailhetas, « Le postcolonial : histoires de langues », Hérodote 2006/1 (no 120), p. 48-­ ?76.) et domination coloniale (Linguistiques et colonialismes, Revue Glottopol, n°20, juillet 2012 http://www.univ-­ ?rouen.fr/dyalang/glottopol) est inexistante, si toute langue porte la signature des rapports de pouvoir, de domination et d’exclusion qu’elle tend à justifier, peut-on formuler l’hypothèse que toute émancipation véritable passe d’abord par la langue dont il faut se défaire ? Tout sujet n’est-il pas déjà interpellé par et dans la langue comme sujet, n’est-il pas déjà sujet de langue et pour la langue, du même coup déjà enchaîné par et dans langue ? Une telle question nous amènera à revenir sur les analyses althussériennes ainsi que celle de Pierre Macherey portant sur la question de l’interpellation. En ce sens, s’enfermer dans la (sa) langue consiste à obstruer les horizons à partir desquels apparaît le « potentiel émancipatoire » à l’œuvre dans l’agir postcolonial. Cela reviendrait à postuler que l’idée de l’émancipation comme étant toujours inaccomplie, un acte raté partiellement à radicaliser et dont il faut à chaque fois vérifier la matérialité sensible. Dans cette perspective, comment le sujet postcolonial peut-il se défaire de la langue et dire en même temps au monde le tort colonial marquant son corps et sa mémoire tout en s’émancipant du (post)colonial ? L’objectif de cette communication est de saisir les enjeux de ces questions en relisant Jean-Louis de Vastey, Aimé Césaire et Frantz Fanon afin de saisir chez eux une contre-écriture postcoloniale permettant de formuler la critique de la raison coloniale. Il s’agira de montrer que chez ces trois auteurs la langue postcoloniale dit autre chose (l’indicible) que ce qu’elle permet de dire : elle va au-delà d’elle-même à mesure qu’elle pénètre dans la profondeur de la souffrance et du mépris qu’elle investigue. Elle dévoile le récit de la domination coloniale sans toutefois se dévoiler elle-même complètement dans cette contre-écriture. Comment donc « habiter une langue » lorsqu’elle a été le vecteur de la domination coloniale et le nom d’un système de pensée qui fait du non-être le nom des subalternes ? Comment être dans une langue qui est déjà appropriée comme celle de l’Autre (Jacques Derrida, Le monolinguisme de l’autre ou la prothèse d’origine, Paris, Galilée « Incises », 1996.) et du pouvoir ? Comment s’en libérer afin de faire advenir un nouvel horizon acolonial, c’est-à-dire aux antipodes des rapports géopolitiques de dominations et d’exploitations structurés par la colonialité ?

Adler Camilus, Docteur en Philosophie (Université Paris8), est Professeur à l’Université d’État d’Haïti. Il est membre du Groupe de travail Pensamiento crítico y decolonizador caribeno/ CLACSO et du comité de rédaction de la Revue d’études décoloniales (http://reseaudecolonial.org/ ISSN 2551-5896). Le titre de son dernier article est « Ecriture postcoloniale du corps et pathologies coloniales », Revue Alyson (s), n°15 février 2018, Politique du corps (post) colonial, (http://www.reseau- terra.eu/article1407.html. Ses recherches actuelles portent essentiellement sur les pathologies qui entravent le présent des sociétés postcoloniales qu’il tente de diagnostiquer en croisant philosophie sociale et théories critique du colonial afin de repenser l’émancipation en contexte postcolonial.

 

« Performance et poétique d’émancipation »
Jephthé Carmil

Je partirai de la question suivante : que peut la performance dans une politique de la visibilité des corps marginalisés ? Cette question à l’avantage d’inclure, comme allant de soi, la pratique de la performance dans une relation avec le champ d’une pensée de l’émancipation. Mais qu’en est-il réellement ? À quels types d’impasses une telle approche peut t-elle conduire ? À partir d’une lecture de mes récents travaux et manifestations artistiques, auxquelles j’ai participées récemment, je tenterai d’esquisser les possibilités que peut offrir la pratique performative dans le cadre d’une pensée de l’émancipation. Ma lecture se portera à la fois sur les aspects esthétiques de mes actes performatifs, c’est-à-dire l’agencement des formes et pratiques combinés ; mais aussi, dans le contenu même des évènements que ces performances font advenir. J’ajouterai, un dernier aspect qui me paraît significatif, celui de la co-présence des corps. L’acte du performeur, dans un espace donné, peut transformer le statut de la présence du public – actif ou passif - par le fait que ce dernier peut interagir avec l’espace et également avec les corps qui s’y trouvent. Son action produit des ‘corps témoins’ de la scène déployée. Faut-il y voir un simple artifice, qui touche le côté tridimensionnel de la représentation ou la possibilité de l’avènement d’un nouvel découpage sensible, qui inscrit les corps présents de la scène dans une nouvelle spatialité, ou encore une simple invitation à expérimenter d’autres manières de percevoir le réel, ne serait-ce que fugacement ? Il s’agira d’inscrire mes expérimentations et mes tâtonnements théoriques à cette dynamique collective de pensée qui me semble prendre en compte quelques enjeux majeurs des pensées politiques et artistiques contemporaines.

Jephté Carmil. Né en Haïti. Vit et travaille entre Paris et Port-au-Prince. Il fait ses études à l’Ecole Normale Supérieure de Port-au-Prince, à l’université de Paris 8 et Paris 7. Ses recherches se portent sur le destin et la circulation des images dans l’Atlantique noir. Elles abordent les rapports entre iconographie postcoloniale et art contemporain. Sa pratique artistique, qui inclut la performance, l’image photographique, l’installation et la vidéo, entre en dialogue avec les recherches qu’il mène autour des cultures visuelles et explore les espaces interstitiels entre imaginaire, fiction et réel. Il a notamment collaboré auprès d’institutions comme L’école Supérieure d’Art et de Design de Tours (TALM-Tours), le Centre d’art et de recherche Bétonsalon, le centre d’art contemporain Espace Khiasma et la chaire Global Souths du Collège d’Études Mondiales de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH).

 

« La violence dans la relation thérapeutique au sein des hôpitaux publics. Esquisse d’une analyse des enjeux de la démocratie sanitaire et du sujet médical autonome en contexte haïtien »
Marc-Félix Civil et Lukinson Jean

La question de la violence dans la relation thérapeutique reste fort peu abordée dans les travaux en sciences sociales. Certaines recherches l’ont examinée dans une perspective socio-éthique (Lebeer, 1997) ou dans une perspective psychologique concernant les patients médico-légaux (forensic patients) inclus dans un programme de traitement de la délinquance (Shafer & Peternelj-Taylor, 2003). D’autres se sont attachées à analyser, dans une démarche psychodynamique et qualitative, l’impact de la relation thérapeutique sur la santé des femmes atteintes de troubles mentaux (Budge, 2016). Comment définir cette violence ? Que traduit-elle ? N’est-elle que l’affaire des soignants ? N’existe-t-il pas aussi une violence du patient ? Quelle sont les conséquences éthiques et sociales de la violence sur la relation thérapeutique ? Cette réflexion, tirée d’observations empiriques et d’expériences professionnelles, vise à aborder la « violence thérapeutique » avant tout comme problème éthique, c’est-à-dire donnant lieu à des interprétations divergentes voire contradictoires de ce qui constitue l’intérêt du malade (G. Lebeer, art.cit.). Nous nous intéressons donc, dans cette perspective, aux violences thérapeutiques aux marges ; i.e ne faisant pas, stricto sensu, partie intégrante de la pratique médicale. Partant du constat que cette forme de violence est souvent confinée dans l’ordre clinique (id.) et semble aller de soi aux yeux des soignants, nous soutenons l’idée suivant laquelle l’avènement du paradigme de la démocratie sanitaire (Eisinger, 2017) - en dépit des limites remarquées de ce concept d’action publique (Demailly, 2014), - est susceptible de contribuer à inscrire cette forme de violence dans l’ordre éthique et donc à rendre possible l’émergence du sujet médical autonome (Klein, 2012) dans le contexte sanitaire haïtien. In fine, par-delà le problème du consentement aux soins (Civil, 2017) et de ses enjeux sociétaux, se posent, au travers des pratiques professionnelles, la question de l’« intégrité » institutionnelle (Piron, 2002) de l’organisation hospitalière en tant que service public ainsi que la question de savoir quels rapports la violence au sein de celui-ci entretient avec l’ordre social haïtien (Edouard, 2013).

M.-F. Civil est gynécologue- obstétricien, praticien hospitalier, psychologue clinicien et docteur en éthique et philosophie médicale de l’Université de Bretagne occidentale. Ses recherches actuelles portent sur le problème du consentement ainsi que les enjeux éthiques des soins et de la prise en charge médicale. Publication récente : M.F. Civil, Consentement aux soins médicaux. État de la question, Ed. Connaissance et savoirs, Paris, 2018.

Lukinson Jean est licencié en philosophie de l’ENS de Port-au-Prince. Il a entamé, par la suite, à l’Université de Limoges, des études de sociologie depuis le premier cycle jusqu’au doctorat. Ses recherches actuelles portent sur les enjeux éthiques de la relation thérapeutique en milieu hospitalier, la relation genre et santé publique, la protection sociale ainsi que les représentations sociales des démences de type alzheimer en Haiti. Publication récente : « La gestion des trajectoires de maladie dans une unité médicale spécialisée », in C. Farnarier, C. Haxaire et B. Moutaud, L’innovation en santé. Technologies, organisation, changement, Presses universitaires de Rennes, 2018, pages 235-248.

 

« Vous avez dit, hors lieux de la politique ! La politique est-elle fragile ? »
Edelyn Dorismond

 Dans cette intervention, mon intérêt porte sur un doute que suscite l’argumentaire de ces deux journées d’étude. Le doute consiste à me demander : s’il y a lieu de parler de hors lieux de la politique y aurait-il véritablement un lieu qui ne serait pas déjà un lieu de la politique ? Le lieu de la politique est entendu dans le sens du lieu consacré à la politique et du lieu saisi par la politique dans sa vertu de créer des lignes de partage dans le corps du social et des individus. Étant persuadé que la politique est déjà présente dans ses hors lieux, ma préoccupation devient plutôt de savoir s’il peut exister un véritable hors lieu de la politique et comment le désigner ? J’avance, donc à la recherche de ce lieu qui serait le dehors de la politique, que le seul hors lieu de la politique est ce que la politique ne peut pas contenir parce qu’elle est déjà contenue par cette réalité première et résistante à tout ordonnancement. Je nomme cette réalité le naturel (dans chasser le naturel, il revient au galop) pour traduire cet être inchoatif qui soutient l’ordre de la culture et toutes ses manifestations tout en ayant la puissance de le mettre hors jeu, en dehors du lieu de la politique. Le naturel semble être le seul à pouvoir défaire la politique en tant qu’il est ce que la politique cherche à contenir et à mettre hors jeu, mais qui peut faire irruption, dans cette dynamique de partage du sensible, en annulant l’expérience politique. Il s’agit ici de penser la fragilité de l’expérience politique et une sorte de naïveté dans sa prétention.

Edelyn Dorismond, Docteur en Philosophie, Enseignant-chercheur à l’UEH, rattaché au Campus Henry Christophe de l’UEH à Limonade (CHCL), Responsable de l’axe 2 de LADIREP, Directeur de Programme au Collège International de Philosophie.

 

« L’historicité mythologique. La représentation par un théâtre d’ombres »
Stéphane Douailler

Quels possibles installent une oeuvre, qui se donne pour tâche de témoigner d’exactions religieuses et politiques touchant une population contemporaine et en particulier des femmes qui subissent viols et sévices, quand elle se construit avec la matière mythologique ? On essaiera de suivre le fil de cette interrogation en considérant plus spécialement le théâtre d’ombres / Vidéo Remembering Mad Meg (En mémoire de Margot la folle, 2007-2017) de Nalini Malani, la postérité qu’elle donne de fait aujourd’hui à Dulle Griet peinte par Bruegel l’Ancien vers 1572, la connexion qu’elle établit avec le gibet de Sasportas.

Professeur émérite du département de philosophie de l’Université de Paris VIII et membre fondateur de son laboratoire de recherche sur les « Logiques contemporaines de la philosophie » (équipe d’accueil LLCP – EA 4008), Stéphane Douailler s’est tourné vers la recherche dans le cadre du collectif fondé par Jean Borreil, Geneviève Fraisse et Jacques Rancière « Les révoltes logiques » (1975-1985), ainsi que dans celui d’études et de manifestes édités en collaboration avec Patrice Vermeren sur le rôle et l’enseignement de la philosophie (« Le doctrinal de sapience », 1975-1979 – « La philosophie dans le mouroir », 1979 – « Les crimes de la philosophie », 1983 – « Joseph Ferrari, Les Philosophes salariés », 1983 – « La grève des philosophes », 1986 – « La philosophie saisie par l’Etat », 1988 – « Philosophie, France, XIXe siècle », 1994). Cette double orientation l’a conduit à rechercher et étudier des relations qui se nouent entre la pluralité ouverte par le mot de philosophie et celle manifestée par le mot de peuple rapporté à des scènes démocratiques ou révolutionnaires hétérogènes aux figures du gouvernable ou à l’appartenance à des groupes humains, par où s’éclairent des points d’utopie au sein des savoirs experts du social et du politique et peuvent se redistribuer les registres institués de l’humanité qualifiée et de l’humanité ordinaire. Ses derniers articles publiés sont « La voix de Louis-Gabriel Gauny » (Cahiers critiques de philosophie n°18, Hermann, Paris, 2017) et "L’humain né du sol et les récits de l’humanisme », dans G. Azemard et Y. Théorêt (Ed.) Humanisme numérique : valeurs et modèles pour demain ? III, UNESCO 2017.

 

« Représentations et territoires dans la reconstruction post-catastrophe de Port-au- Prince : approche par les inégalités socio-spatiales »
Jean Odile Etienne

Le séisme du 12 janvier 2010 a révélé la situation de très grande vulnérabilité de la ville de Port-au-Prince aux yeux du monde. Cette métropole a ainsi bénéficié d’une aide internationale très importante et à la mesure de l’ampleur des pertes humaines et matérielles qu’elle a subie. Le processus de reconstruction qui a suivi la catastrophe a atteint une dimension inégalée par le nombre et la diversité des acteurs impliqués. Pourtant ces derniers ont surtout concentré leurs opérations de reconstruction dans le Centre historique et les quartiers coutumiers des actions humanitaires, et souvent très médiatisés. Ces choix, plus ou moins délibérés, ont non seulement accentué les inégalités socio-spatiales dans la ville mais ont eu même tendance à laisser émerger de nouvelles vulnérabilités post-catastrophe dans les quartiers délaissés de la petite classe moyenne. Cette proposition analyse le processus de reconstruction post- catastrophe de Port-au-Prince au prisme des représentations, s’intéressant aux pratiques qui s’inscrivent dans le territoire métropolitain et à leurs fondements symboliques et idéologiques.

Jean Odile Etienne, Docteur en Géographie, Enseignant-chercheur, Membre fondateur du Laboratoire Dynamiques des Mondes Américains (LADMA/ENS), Ecole Normale Supérieure/Université d’Etat D’Haïti, Université Publique de l’Artibonite aux Gonaïves (UPAG). Membre de l’UMR LADYSS, Université Paris 8 Saint Denis.

 

« La politique, le politique et ses « hors » lieux »
Jean Waddimir Gustinvil

Je propose dans cette communication d’explorer les tensions, les contradictions et les hérésies auxquelles fait face la promesse de la politique par le politique et ses « hors » lieux. La politique entendu comme fabrication en commun du « vivre ensemble » et d’ « agir en commun », cette vie civique peut être menacée par une extériorité que j’appelle les hors « lieux » du politique. Ces « hors » lieux se définissent par rapport à la politique. Cette dichotomie est un héritage de la modernité politique occidentale où la société politique est constamment menacée par le spectre de son dehors (« La guerre civile » et « les violences tant économiques que raciales »). Ce que menace cette extériorité est la double dimension de la politique : la politique comme espace de « vie en commun » et comme « espace de conflit ») : la vie en commun tend à se transformer en vie des egos renfermés sur eux-mêmes et l’espace conflit se métamorphose en un espace aseptisé contre tout conflit, et par conséquent, la politique est réduite à des recettes de management. Parce que, l’espace politique constitue le « lieu » à travers lequel nous tissons des « liens de convivialité » et de « conflictualité » mais il est surtout l’espace par excellence d’invention et de réinvention du sens de son activité : produire du vivre ensemble et de nouvelles façons d’être-ensemble ou d’être soi. Or, les modes de constitution du social que nous appelons ici le politique détissent les liens civiques ou politiques pour les substituer par des liens égoïstes.

Jean Waddimir Gustinvil, Docteur en philosophie, Enseignant-chercheur rattaché à l’ENS de l’Université d’État d’Haïti et responsable académique pour l’ENS du programme de maîtrise en Sciences de l’éducation mis en place par l’ENS et l’université du Québec à Chicoutimi.

 

« Champ muséal en Haïti, un espace légitime de représentation mémorielle »
Jerry Michel

S’inscrivant dans différents processus historiographiques, et dans des mécanismes de recompositions sociales et politiques multiples, l’étude de ce que je nomme le champ muséal haïtien introduit une perception nouvelle de l’espace public. Le musée est perçu ici comme un observatoire concret pour qui veut saisir le travail de la mémoire et les processus de formation de l’identité collective impliquant un rapport pluriel au patrimoine et à sa représentation. Mon travail porte sur les incessantes mutations de ce champ muséal à Port-au-Prince – et de manière plus générale en Haïti- témoignant des besoins en histoire et en récits mémoriels susceptibles de nourrir les imaginaires sociaux. Les correspondances entre les modes de construction des identités collectives et les évolutions politiques nationales d’un côté, tout comme le jeu de ceux-ci avec les orientations et les investissements culturels, de l’autre, témoignent, en effet, des interrogations et des évolutions nées de l’histoire d’Haïti. Les musées (le Musée ethnographique du Bureau National d’Ethnologie et le Musée du Panthéon National Haïtien) trop souvent perçus comme des espaces patrimoniaux ayant pour seule fonction de montrer et de valoriser une collection dans une stratégie de conservation, sont devenus aujourd’hui des vitrines politico-culturelles. Ces modifications de la figure et des usages des musées sont associées à un processus de redistribution du pouvoir et de la représentation. L’analyse de ces musées à Port-au- Prince (Capitale d’Haïti) traduit des conceptions politiques spécifiques de l’agir et des relations entre le pouvoir et l’histoire et, de manière plus générale, entre le pouvoir et les individus. Mon analyse diachronique et synchronique de la trajectoire suivie par les musées peut être lue comme un ajustement continuel des pratiques aux structures (muséographiques, historiographiques, culturelles). Plus précisément encore, ces musées d’État constituent des laboratoires pertinents pour analyser les rencontres, les représentations, les heurts et les échanges entre différentes dynamiques sociales. Au-delà, il s’agit de renouveler la réflexion sur le travail de la mémoire et les processus de formation de l’identité collective liés à la fabrique contemporaine du patrimoine culturel en Haïti. Mon ambition est de réinterroger les significations et les enjeux de la transmission, au-delà des critères normatifs et institutionnels du patrimoine, par le prisme des institutions, des groupes sociaux et des individus participant à sa production et ses usages.

Jerry Michel, Directeur Technique du Bureau National d’Ethnologie (BNE) et Enseignant-Chercheur à l’Université d’État d’Haïti, est doctorant en sociologie en cotutelle à l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis et à l’Université d’Etat d’Haïti. Il est aussi chercheur au Centre de Recherche sur l’Habitat (CRH) du Laboratoire Architecture Ville Urbanisme Environnement LAVUE UMR 7218 CNRS (France), au LADIREP et au CRIMEX (Haïti). La thèse de doctorat qu’il réalise sous la direction de Claire Lévy-Vroelant (Professeure de sociologie à l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, CRH-LAVUE UMR 7218) et de Laënnec Hurbon (Professeur de sociologie à l’Université d’État d’Haïti et l’Université Quisqueya et directeur de recherche au CNRS) porte sur la patrimonialisation et la construction de la mémoire collective dans les habitations coloniales haïtiennes. Il détient une licence en sociologie (Université d’État d’Haïti, 2009, mention très bien), un master recherche en sociologie (Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, mention très bien, 2012).

 

« De la représentation de l’autre à l’effacement de sa capacitation politique »
Odonel Pierre-Louis

Sous la représentation de « la victime », du faible, du sinistré ou de l’assisté, qui généralement fait lien à la charité, au don, à la compassion et à la pitié, un hors lieu du politique tend à se construire sous une forme ou sous une autre. Ce qui est au cœur même de la logique humanitaire, c’est d’abord la désignation de la victime par un état d’indignité et de victime en vertu duquel, l’action de sauvetage prétend lui redonner sa dignité. Cette condition d’indignité pourrait s’entendre aussi comme l’incapacité de se présenter soi-même en mettant en exercice sa capacitation politique. Ce qui est au cœur même de la logique humanitaire, c’est d’abord la désignation de la victime par un état d’indignité et de victime en vertu duquel, l’action de son sauveteur prétend lui redonner sa dignité. Mais jusqu’où avons-nous la garantie d’imposer son sésame de la dignité à autrui quand, au nom de cette vie indigne surreprésentée, on investit le malheur de l’autre pour agir à sa place sans qu’il n’ait mot à dire ? De quoi les victimes sont-elles exclues dans les / des lieux du politique à partir de ce constat ? Cette modalité de constituer, de désigner et d’identifier ces dernières autorise du coup le désignateur (cette instance autre) à les prendre par la main en vue de leur redonner leur dignité perdue. Il ne suffit pas de les (re)présenter telles, il suffit également de chercher l’adhésion de tous ceux qui sont au loin en vue de grossir « l’Internationale des cœurs ». C’est ainsi que s’effectue le recours aux médias dans l’overdose des images qui campe dans sa vie qui ne vaut pas la peine d’être vécue afin de susciter l’indignation chez autrui et d’appeler sa compassion. « L’information et l’humanitaire sont [en effet] le remède contre les douleurs extrêmes  ». En ce sens, la victime est absente puisqu’elle est rendue trop visible dans une situation qui dissipe ou détourne sa vie propre et elle est donc frappée d’incapacitation. Cette overdose de (re)présentation de la victime est structurée par un principe suivant lequel d’un côté il y aurait les victimes, les vies indignes et, par conséquent, des vies niées dans leur être ; d’un autre côté, les sauveteurs, les vies dignes qui, au nom de cela, peuvent se permettre de faire de la cause de l’autre la leur, leur cause propre. C’est un aspect fondamental dans le fonctionnement de la logique humanitaire : informer, médiatiser et exhiber l’indignité de la victime pour indigner ceux qui ne souffrent pas (Kouchner, Bernard, Le malheur des autres, op., cit., p. 12.). Une logique qui, au nom du « malheur des autres », s’institue et s’organise au moyen d’un ensemble de discours et de pratiques de manière à fabriquer la dignité des autres, mais à partir de l’utilisation de l’indignité des autres : curieux paradoxe. Comment donc informer l’autre, susciter une compassion à distance en photographiant la souffrance de la victime avec pudeur ? Comment indigner véritablement ceux qui ne souffrent pas sans recourir à cette loi tapageuse ?

Odonel Pierre-Louis, Docteur en philosophie politique, Professeur de Philosophie et de sociologie à l’UEH (ENS/FE), Ex-Coordonnateur du Master : Politique et gestion de l’éducation CLACSO/UEH, Responsable du département Anthropologie- Sociologie à la Faculté d’Ethnologie, Membre du Laboratoire LAngages DIscours REprésentations (LADIREP).

 

« Des territoires "sans"/"kote san" »
Jean Marie Theodat

Les religions ont leurs "lieux saints". La géographie a ses "lieux sans". Cette intervention a pour thème les "lieux sans" : ces espaces sans eau, sans électricité, sans voirie, sans police, sans les commodités et les infrastructures minimales qui rattachent un quartier à la ville. Signe que ces quartiers ne font pas partie des préoccupations des autorités au niveau de l’Etat, de la municipalité ou du privé. Cela se traduit souvent par des unités d’habitat situées en périphérie, désignées sous le terme de bidonville. Aujourd’hui cette réalité s’étend à la majorité des quartiers de la capitale. Considérant que la ville est aussi le champ d’exercice de la lutte des places, il convient de voir les bidonvilles (qui sont la forme majoritaire d’habitat) comme la forme dominante qui impose son moule à l’ensemble de l’espace métropolitain. La perspective de Port-au- Prince comme un vaste "lieu sans" est une réalité qu’il importe de caractériser pour anticiper des dérapages catastrophiques.

Entèvansyon pa m nan ap gen pou chita sou sa m rele "kote san", yon fason pou m karakterize zòn ki pa gen ni Leta, ni Lameri, ni pèsonn pou voye je sou yo, kote moun yo viv san yo pa jwenn bon jan sèvis ak bon jan swen nan tout jan pou tou sa yo bezwen. Yon bidonvil yo se yon egzanp, yon paradigm li ye pou reprezante sa nou rele yon "kote san". Men si nou konsidere ke espas ibanize a se yon chan de konpetisyon li ye pou kategori sosyal yo ki fas a fas, li ta sanble ke se bibonvil yo ki pifò, se yo ki okipe pifò espas vil la kouvri. Kidonk, se yo ki komande epi tou ki bay fòm a tout rès espas la. Nou vle montre kijan "kote san" yo enflyanse rès espas la nan Pòtoprens. Nou tou pwofite di yo se malè pandye anlè tèt nannan peyi a.

Jean Marie Theodat, Agrégé en géographie, Professeur à l’ENS de l’UEH, Responsable du Master en Urbanisme Résilient (URBATer) de la Faculté des sciences de l’UEH, responsable du dossier Migration de l’OBMEC (Observatoire Binational sur la Migration, l’Environnement, l’Education et le Commerce.