Colloque. Retour de Fordlândia 13-18.11.2018

La Colonie
128 rue de Lafayette 75010 Paris

 

 

RETOUR DE FORDLÂNDIA, UNE ARCHIVE À CIEL OUVERT

 

Fordlândia est une ville construite à partir de 1928 par Henry Ford en Amazonie sur la rive du Tapajòs, afin d’exploiter intensivement l’hévéa et le caoutchouc qu’il produit, nécessaire à la fabrication des pneumatiques. Le projet a échoué et Fordlândia est aujourd’hui un petit village, au milieu d’un patrimoine industriel au statut incertain. En août 2018, Suspended spaces a organisé une résidence flottante jusqu’à Fordlândia avec vingt artistes et chercheurs internationaux, en collaboration avec Fotoativa, collectif brésilien de Belém.

RETOUR DE FORDLÂNDIA est une exposition qui présente un ensemble d’œuvres, actions, gestes, réalisés à l’occasion ou au retour de la résidence. Fordlândia, une archive à ciel ouvert est le titre du colloque qui se tiendra une semaine durant, sous la forme de tables rondes quotidiennes pour discuter et comprendre ce que Fordlândia veut dire, aujourd’hui.

Fordlândia est une ville construite par Henry Ford au bord du Rio Tapajós à partir de 1928. Bâtie pour cultiver de manière intensive le caoutchouc nécessaire à l’équipement des pneus des véhicules fabriqués dans les usines Ford de Détroit, elle était aussi un projet de « civilisation », qui regroupait usines, habitats, hôpital, écoles, construits sur un modèle américain. Mais ce fût une succession d’échecs et d’erreurs ; l’eau, la terre, les parasites, les révoltes ont eu raison du fantasme fordien.

Fordlândia est aujourd’hui un paysage et une archive à la fois, qui ouvre des réflexions qui se préciseront au fur et à mesure des journées du colloque : le site interroge la rencontre du projet moderne de l’industriel américain, occidental, rationnel, colonial, et un territoire amazonien qui, hier comme aujourd’hui, porte et supporte des projections multiples, économiques et environnementales, anthropologiques et artistiques, touristiques et scientifiques. Penser ce rapport entre archives, mémoire et paysage, au retour d’une résidence à Fordlândia, avec des chercheurs et artistes brésiliens et internationaux, ouvre des pistes de travail et de réflexions qui s’inscrivent au croisement de l’art et des sciences humaines. L’exposition Retour de Fordlândia est une étape parisienne d’un projet qui commence en Amazonie, se poursuivra au centre d’art la Tôlerie, à Clermont-Ferrand (à partir du 23 novembre 2018), et se conclura par une exposition à Belém (Brésil) et un livre franco-portugais, en 2019.

Le colloque organisé à Paris s’inscrit dans un projet international, qui engage la France et le Brésil mais aussi des artistes et chercheurs de différents pays d’Europe (Allemagne, Belgique, Canada, Portugal, Liban). L’expérience à l’origine de l’ensemble du projet est une résidence embarquée sur un bateau voguant de Santarém à Fordlândia, sur le rio Tapajós, en Amazonie. Ce moment partagé, avec 20 artistes et chercheurs de cultures, de nationalités, d’âges différents, déploiera ses enjeux et ses résultats à l’occasion de l’événement organisé à La Colonie. Ce sera la première fois que le groupe se réunira à nouveau après cette expérience commune.

Chacun aura pris du recul, poursuivi des pistes de travail, terminé des projets, et la confrontation de ces recherches sera non seulement matérialisée dans l’exposition, mais sera aussi partagée publiquement à l’occasion des prises de parole et tables rondes. Il s’agira de donner à voir et à entendre une recherche collective dans son aspect le plus vivant, en direct. Les prises de parole des artistes seront enrichies, nourries et discutées à partir des communications de philosophes, anthropologues, historiens, architectes : il ne s’agira pas de prétendre produire une recherche exhaustive, mais de multiplier des visions, les interprétations, les réactions au lieu et à ce qui se dégage de lui et de ses habitants, provoquant des émotions et des éléments de compréhension.

Fordlândia, ce prétendu projet utopique « total » est un suspended space lié à la ville, à l’urbanisation, à des migrations, donc au déracinement, laissé vacant, dans lequel sont déposées des histoires inachevées ou interrompues, parfois violement, espaces préoccupés par des récits à venir, à « re-jointer » en les distinguant, des récits échoués. Quelles histoires inventer pour réparer l’Histoire ? Friche industrielle et réserve d’imaginaire, Fordlândia sera mise à l’épreuve des définitions de l’espace et envisagé à travers les multiples histoires des représentations de l’Amazonie (de Werner Herzog au cinéma brésilien). La dimension historique des lieux sera envisagée, en particulier l’inscription de cette ville dans un projet colonial américain plus global, mais aussi par l’observation des multiples temporalités que concentre Fordlândia (Margareth Da Silva Pereira, Alessia De Biase). Les fantasmes alimentent les faits ; la recherche de matières premières est associée au fantasme moderne d’une conception de la forêt Amazonienne comme forêt primaire, remise en question par l’archéologie récente (Stephen Rostain), l’histoire sans frontière de (Patrick Boucheron), l’histoire-monde(s) (de Romain Bertrand), comme est remise en question une anthropologie moderne séparant humain/non-humain par des chercheurs « perspectivistes ». La blessure Fordlândia raisonne avec la violence subie par la forêt, qui invite à une attention toute particulière, une sollicitude qui questionne l’éthique du care et que développe l’éco-féminisme (Caroline Ibos). Les lieux ne sont pas détruits, mais ils abandonnent des restes, les « délaissés » dont parle Gilles Clément, dont la signification reste flottante. Le lieu authentifie son histoire. Comment s’affranchir du poids et de la charge de l’histoire sans cependant l’oublier, comment s’affranchir formellement d’une historicité ?

 

PROGRAMME

Mardi 13 novembre

  • 17h : Tables rondes : Quelques expériences à Fordlândia
  • Avec Alessia De Biase, Marcel Dinahet, Camila Fialho, Maïder Fortuné, Debora Flor, Jan Kopp, Jacinto Lageira, Bertrand Lamarche, Daniel Lê, Françoise Parfait, Susana de Sousa Dias, Stéphane Thidet, Eric Valette, Camille Varenne.
  • 18h30  : Performance, Eric Valette
  • 19h : Vernissage de l’exposition - cocktail

Mercredi 14 novembre 

Fordlândia, une archive à ciel ouvert.

  • 16h30 - 18h : Le cinéma amazonien de Werner Herzog, à l’invitation de Stefanie Baumann et Eric Lecerf avec Susana Mouzinho et Jeremy Hamers

  • 19h - 20h30 : Cinéma et Amazonie, avec Lucia Monteiro, Wagner Morales, Susana de Sousa Dias. Projection de Lígia (2017) de Nuno Ramos (5’). Modératrice : Aline Caillet 

  • 20h30 : L’imaginaire de la forêt et le perspectivisme amérindien : parcours dans le cinéma brésilien, de Lucia Monteiro : Os Arara (1983) de Andrea Tonacci (troisième épisode, 30’), Toré (2015) de João Torres (15’30’’), 16mm (2008-2011) de Daniel Steegmann Mangrané (5’) et Há Terra (2016) de Ana Vaz (13’).

Jeudi 15 novembre

  • 13h30 - 15h : Les temps de Fordlândia (habiter l’Amazonie), à l’invitation d’Alessia De Biase, avec Margareth Da Silva Pereira, Valérie Jouve, Françoise Parfait et Gilles Tiberghien.

  • 15h30 - 17h : Ethique du care et écoféminisme, à l’invitation de Caroline Ibos (Université Rennes 2, LEGS) et Lise Lerichomme (Université de Picardie Jules Verne).Dès la fin des années soixante, des artistes comme Mierle Laderman Ukeles ou Cecilia Vicuña ont exploré les liens entre l’exploitation de la nature, le développement du capitalisme et la domination masculine et occidentale. En écho à leurs recherches, les éthiques du care interrogent les interdépendances et les attachements entre les êtres vivants et leurs environnements pour souligner les enjeux de justice liés à leur préservation. Dénonçant l’insouciance envers les conséquences de nos actions sur l’environnement, le regard du care accorde attention aux espaces proches et aux expériences sensibles et locales et souligne le rôle des femmes dans le maintien des formes de vie. Là se rejoignent les perspectives des écoféminismes dans leurs analyses de l’exploitation conjuguée des ressources naturelles et des femmes « des Suds », ainsi que les pratiques de résistances de ces dernières. Sous la forme d’une discussion, cette table ronde réunira des artistes et des chercheures qui exploreront ces liens entre art, éthique du care et écoféminisme. Avec Myriam Bahaffou, Camille Ducellier, Sandra Laugier (sous réserve) et Pascale Molinier.

Vendredi 16 novembre

  • 13h30 - 15h : Paysage amazonien, à l’invitation de Christophe Viart. Avec Fabienne Brugère, Marwan Moujaes, Naara Fontinele et Maïder Fortuné.

  • 15h30 - 17h : L’appropriation culturelle. En travaillant sur Fordla ?ndia, en Amazonie, des questions de le ?gitimite ? se sont une nouvelle fois pose ?es. Qui est e ?tranger a ? quoi ? Qu’est-ce que le de ?placement engage comme jeux de pouvoir, d’appropriation, d’instrumentalisation ? Avec Camila Fialho, Jacinto Lageira, Debora Flor, Véronique Isabelle, Hélène Nicolas et Eric Fassin. Modérateur : Eric Valette

  • 17h : Performance de Florence Jou

  • 18h : Soirée DJ Brésil

Samedi 17 novembre

  • 13h30 - 15h : Fordlândia, la forme d’une ville : élevage de poussière. 

  • Emmenez moi au bout du monde ! à Forlândia pour arpenter ensemble aujourd’hui ce territoire amazonien, témoignage d’une conquête coloniale avec José Maria Ferreira de Castro, Forêt vierge (1930) et son traducteur Blaise Cendrars, Utopialand (1955). À l’origine « Le Plan américain ! La prospérité automobile s’infiltrant par le haut ! » (Frederik Winslow Taylor, Henry Ford) avec John Dos Passos, La grosse Galette (U.S.A). Une company town réduite à sa plus simple expression : l’organisation du travail, qui se veut l’image lointaine des suburban villages : Riverside de Frederic Law Olmsted (1869) et l’enfant chéri de Ford, Greenfield Village. Aujourd’hui, la réalité d’une ruine de : « La forme d’une ville, la structure d’une ville, le profil d’une ville, c’est vraiment là ce que je veux dire : je veux défendre quelque chose qui n’est pas codifié, qui n’est pas défendu par personne et qui est l’œuvre, disons-le comme ça, du peuple, de toute une histoire d’un peuple d’une ville : une multitude d’hommes sans nom. » (Pasolini 1974). Élevage de poussière : « Comme il est aride - comme il est fertile - comme il est joyeux comme il est triste  » (Man Ray 1921). Avec Philippe Duboÿ, Bertrand Lamarche.

  • 15h30 - 17h : Forêt, frontières, récits. Avec Stephen Rostain, Anne-Laure Amilhat Szary

  • 17h : Performance de Mariana Marcassa et Anatoli Vlassov, BRUSSIA. Une Brésilienne et un Russe se rencontrent pour partager des affectes inscrites dans leurs corps. Entre colonisation, lutte, douceur, grandeur et barbarie, ils convoquent leurs vécus émotionnels à travers voix, gestes, paroles et silences. BRUSSIA ou comment deux puissances se mêlent.

Dimanche 18 novembre

  • 13h30 - 16h30 : Amazonie, une histoire-monde(s)

  • L’Amazonie : peut-on imaginer lieu plus « coupé de tout », espace plus « déconnecté » des grands flux planétaires ? Et pourtant, l’Amazonie brésilienne ne s’est jamais tenue à l’écart du monde. Elle a même été, outre l’un des grands bassins du capitalisme financier, l’un des principaux champs d’expérimentation de la modernité – jusqu’à en arborer aujourd’hui encore les stigmates. Contre les mythologies de l’isolat, cette table ronde entend faire droit au récit choral de ces expériences. Avec Patrick Boucheron, Pierre Deléage, Laurent Vidal, Armelle Enders. Modérateur : Romain Bertrand.

  • 17h-19h30 : concert, musique brésilienne

 

L’exposition Retour de Fordlândia est installée au 1er étage de La Colonie jusqu’au dimanche 25 novembre.