Séminaire de recherches transculturelles 2021-2022
Séminaire de recherches transculturelles
2021-2022
Dirigé par Bruno CANY et Jacques POULAIN
Salle A 329 de la Maison de la Recherche de l’Université Paris 8
2 rue de la Liberté, 93200 Saint-Denis
(M° Saint-Denis Université)
Visioconférence :
https://meet.google.com/cpr-ariy-tan
1er semestre
15 septembre 2021 de 12h à 15h
Mounirou DIALLO
« Guelwaar de Sembène Ousmane : de l’image-récit (roman) à l’image-mouvement (cinéma) »
20 octobre 2021 de 12h à 15h
Valentin NORMAND :
« L’esthétique chez Nietzsche au service de l’affirmation de la vie »
17 novembre 2021 de 12h à 15h
Amar FERNANDES-BENYAHIA :
« La pensée tragique dans la lignée Empédocle-Hölderlin-Nietzsche »
15 décembre 2021 de 12h à 15h
Auguste EYENE OSSONO :
« L’éthique du jugement et le vis-à-vis de l’Autre »
19 janvier 2022 de 12h à 15h
Sergueï PANOV : « Les régimes chamaniques de l’expérimentation littéraire (Tolstoï, Tourgueniev, Flaubert, Duras) »
Timur ATNASHEV : « L’idée anthropologique de la bureaucratie »
2ème semestre
Mercredi 16 février 2022 de 12h à 15h
Alberto GUALANDI
« Narcisse muet. Art abstrait et mort de l’art dans Zeit-Bilder d’Arnold Gehlen »
Mercredi 16 mars 2022 de 10h à 12h
Juan RAMÍREZ
« La notion de limite chez Helmuth Plessner : enjeux anthropologico-politiques »
Francisco NAISHTAT
« Vases communicants entre le Tractatus Logico-Philosophicus (Wittgenstein) et Zur Kritik der Gewalt (Benjamin). L’horizon d’un centenaire (1921-2021) et la question de la guerre »
Hugo HIDALGO
« Critique de la minorité d’âge »
Bernd LEHFELD
« Une thérapeutique pragmatique de l’existence au cœur de l’anthropologie fondamentale de l’expressivité humaine comme fondement de la Psychologie chez Binswanger ?
Points de considération et indices de contact entre la "clinique binswangerienne" à Bellevue et "la communication heureuse" selon Jacques Poulain »
Inscription à la lettre d’information du séminaire :
bernd.lehfeld@hotmail.fr
1er semestre
Mercredi 15 septembre 2021 de 12h à 15h
Mounirou DIALLO
« Guelwaar de Sembène Ousmane : de l’image-récit (roman) à l’image-mouvement (cinéma) »
On dit souvent que le romancier a toujours le meilleur ’casting’, puisqu’il n’a pas à composer avec des acteurs ; il ne perdrait ainsi rien de son image mentale en faisant agir ces personnages inventés. Que se passe-t-il alors lorsque ce même romancier décide de se faire cinéaste ? Plus sérieusement, comment passe-t-on de l’image romanesque à l’image cinématographique, ou inversement ? Mieux, quels écarts, quelles transmutations ou, tout au plus, quelles métamorphoses faut-il opérer pour qu’un artiste soit à la fois un redoutable créateur et un génie du montage ?
L’objectif de mon analyse est de monter que le film de Sembène est un poème qui fait voir une image mentale du romancier, en m’appuyant, d’une part, sur les analyses du Laocoon de Lessing et les travaux de Deleuze sur l’image cinématographique (L’image-mouvement, 1983), d’autre part. Ainsi regarder Guelwaar, c’est comme lire un poème, avec ses grappes d’images, qui nous fait voir les insolubles et tragiques problèmes de l’Afrique noire. Cette thèse s’appuie sur l’idée qu’il y a, chez Ousmane Sembène, une image-mouvement (le cinéma) « expression du génie de l’artiste qui se fait poète-cinéaste » et une image-récit (le roman) qui se complètent. Mais somme toute irréductibles. Il faut tout de même s’empresser de préciser que l’image-récit de Sembène n’est là que pour servir le poète-cinéaste. Cela veut dire que le roman de Sembène est un moyen qui a permis de révéler le destin d’un génie dans l’art du montage. Cette analyse cherchera au bout du compte à défendre ceci : Ousmane Sembène est celui qui voit le monde avec l’oeil d’un artiste qui accomplit son génie dans le cinéma « en poussant son image-mouvement jusqu’à sa limite ».
Mots-clés : image-mouvement, image-récit, cinéma, film, scènes romanesques, Guelwaar, « poésie des images », poète-cinéaste, figure de pensée, projection, Afrique noire, dépendance, dignité humaine.
Support : Projection de quelques séquences du film (Guelwaar) pour illustrer l’exposé.
Mounirou Diallo est docteur en philosophie et enseignant-chercheur au Département de Philosophie de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines (FLSH) de l ’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Ses recherchent portent essentiellement sur l’esthétique et la philosophie de la culture négro-africaines. Ses travaux interrogent le statut épistémique de la littérature négro-africaine et ses impacts sur la manière de philosopher en Afrique noire. Il est l’auteur de Le concept et le roman. Philosopher avec la littérature en Afrique noire, paru aux éditions Hermann, 2017.
Mercredi 20 octobre 2021 de 12h à 15h
Valentin NORMAND
« L’esthétique chez Nietzsche au service de l’affirmation de la vie »
Pour nous qui cherchons à établir la figure du philosophe-artiste, Nietzsche semble être une indispensable référence par son refus du discours proprement philosophique et la place centrale qu’occupe l’art dans sa philosophie. Mais son statut a changé de l’accord avec Schopenhauer et Wagner à propos d’un art consolant l’absurdité de l’existence humaine et expression de la Volonté, en passant par sa propre pratique poétique avec le Zarathoustra, jusqu’à cette déclaration finale de 1888 : « L’art, et rien que l’art ! ». Et c’est cette maxime que nous avons voulu expliquer en suivant les textes et notes de Nietzsche pour voir ces transformations de la question de l’art, et, plutôt que des contradictions ou un système caché, nous avons plutôt constaté un déplacement de l’art relativement au long raisonnement qu’est la philosophie nietzschéenne, ce chemin plein d’embûches, de phases et de strates. Nietzsche veut répondre au problème de Schopenhauer, celui de la valeur de la vie, et c’est en passant par une anthropologie toute particulière qu’il parvient à cette affirmation de l’art-rédemption. Si donc notre démarche a été de tenter de comprendre cette place finale de l’art, en quoi l’art est la seule force qui rend possible la vie ? Il convient que notre problème soit le même que celui de Nietzsche : comment échapper à l’évaluation pessimiste du monde ? C’est donc ce raisonnement en son intégralité que nous présenterons.
Valentin Normand est doctorant en philosophie à l’Université Paris VIII. Cette intervention présente l’actualité de ses recherches de thèse.
Mercredi 17 novembre 2021 de 12h à 15h
Amar FERNANDES-BENYAHIA
« La pensÉe tragique dans la lignée Empédocle-Hölderlin-Nietzsche »
Comment lit-on la pensée tragique ? La conceptualisation du tragique viendra réellement avec Hölderlin quand il s’approprie cette question non plus selon son acception poétique, mais bel et bien en tant que forme philosophique. Si l’on suit sa réflexion, avec la question qu’est-ce que le tragique, on notera qu’il est une façon d’être au monde spéculative, c’est-à-dire qui intégre les formes d’expressions de « l’état » par l’ensemble des citoyens, ou le choeur dans la tragédie. Mais la tragédie n’est pas la vérité philosophique, elle illustre le propos philosophique d’une sagesse tragique. L’union des contraires, de la poésie et de la sagesse, voilà ce qui plut tant à Empédocle, Hölderlin et Nietzsche : le philosophe tragique, ou la vie héroïque d’un être métaphysique transcendant la mort, entre mythe et science. Je est un autre, entre la naissance et la mort, la pensée tragique représente l’individu conscient de lui-même dans sa totalité, même s’il doit être vu sur une scène de théâtre. Un personnage tragique n’est-il pas destiné à exister dans la diversité des peuples, de leurs moments historiques concrets, autrement dit dans l’Histoire ? Pour ces poètes et amis de la sagesse tragique, il s’agissait de traduire le monde du symbole, de la parabole, ou de l’allégorie en une nouvelle langue. »
Amar Fernandes-Benyahia est doctorant en philosophe à l’université de Paris VIII, il s’intéresse aux conditions de naissance de l’esprit, dans son devenir et son concept.
Mercredi 15 décembre 2021 de 12h à 15h
Auguste EYENE OSSONO
« L’éthique du jugement et le vis-à-vis de l’Autre »
Dans un monde moderne aveuglé par son égologie, éconduit par sa quête effrénée du progrès, de plus en plus habité par la folie et le développement d’une science devenue sourde à toute éthique ou morale possible et nécessaire (pour réinventer le lien de civilisation entre les individus, les peuples et les Nations), et la frénésie incontrôlée de l’innovation technique, mais tout aussi tourmenté par les errements causés par ses propres avatars, nos sociétés sont désormais régentées à travers le dogme d’une téléologie épuratrice de contrôle généralisé de l’historiographie et de l’Artéfact historique, de l’effacement volontaire ou de la dissimulation des mémoires qui dérangent les oligarchies et les communautés dominantes (en rupture d’altérité avec les autres, issues de caryotypes différents), de d’oblitération des valeurs lorsqu’elles accusent. Ceci grâce à une politique d’inimitié sur fonds de « brutalisme » et une littérature orientée, dominante au sein des élites (qui sédimente à la fois dans les institutions et l’inconscient collectif), et à l’aide d’idéologies en tout genre et de l’imperium d’oligarques au pouvoir, pour qu’il n’y ait jamais de règles d’arbitrage librement consenties par les acteurs, sur fonds de jugement partagé et de consentement égalitaire. Cela, dans l’ultime but de libérer la voie à une morale d’épuration des responsabilités historiques, un nihilisme intégral des culpabilités, dont le monde moderne lui-même ne sait plus contenir ou contrôler les conséquences pour en atténuer les effets. Le consensus ici imposé est alors le creuset d’un monde en déshérence qui ne sait plus à quel saint se vouer.
Dans la même optique, des sémiologies nouvelles de légitimation du révisionnisme, ontologique, historique, culturel et linguistique apparaissent, des rhétoriques de légitimation, comme modes de détournement des usages libres et authentiques du jugement, devenant de ce fait les nouveaux jeux de langages imposés, à l’intérieur de nos univers de signification. Des jeux de langage relevant du seul fait de l’impérium qui imprègne de son inertie les consciences, ordonnés par le mot d’ordre insidieux et subliminal des oligarchies et des élites qui prennent en otage les institutions contre les citoyens et les instances de pouvoir au sens large du terme.
Le monde ainsi devenu fou, la société moderne, en manque de repères, donc en déshérence, étant ici une porte d’entrée vers l’ultime glissement de cette forme nouvelle du nihilisme instauré par l’Occident et soutenu par les élites corrompues du Sud.
Les mots, les usages et les langues perdant ainsi leur authenticité.
Cette culture généralisée du nihilisme de tout lien de culpabilité historique impliquant l’Occident vis-à-vis de l’Autre, annonce peut-être en filigrane une fin des temps que le vieux continent n’avait pas prévue.
Auguste Eyene Ossono, ancien étudiant de Paris 8, ayant obtenu deux doctorats avec mention Très honorable et félicitation à l’unanimité du Jury (2005 et 2006) en philosophie, langage et anthropobiologie ; en sciences de l’information et de la communication, est enseignant chercheur en poste permanent à l’Ecole Normale Supérieure de Libreville, au Département de philosophie. Il est par ailleurs membre et directeur adjoint de l’Institut Cheikh Anta Diop de Libreville dirigé par le professeur Grégoire Biyogo, et chargé de cours au Département des sciences de l’information et de la communication à l’Université de Libreville.
Mercredi 19 janvier 2021 de 12h à 15h
Sergueï PANOV : « Les régimes chamaniques de l’expérimentation littéraire (Tolstoï, Tourgueniev, Flaubert, Duras) »
Timur ATNASHEV : « L’idée anthropologique de la bureaucratie »
Sergueï Panov : « Les régimes chamaniques de l’expérimentation littéraire (Tolstoï, Tourgueniev, Flaubert, Duras) »
La limitation de la prosopopée romantique est une formule du roman « Madame Bovary » où on peut voir l’esprit romantique se transformer en un langage du désir et le narrateur intellectuel s’effacer devant la naïveté d’une chanson populaire. On peut repérer ici des convergences poétiques avec la nouvelle romantique de Pouchkine « Dame de pique » où l’esprit romantique avait été désigné comme « une tentative de sacrifier le nécessaire afin d’acquérir un luxe ». « L’éducation sentimentale » nous mène à la critique par Flaubert de la formation de l’esprit des Lumières et post-Lumières de la façon dont Goethe et Hegel fixent une origine de la conscience morale dans l’interdit de l’inceste en faisant recul vers les régulations archaïques. « L’éducation sentimentale » présuppose déjà une philosophie de la révélation, donc, de l’affect sublime de l’intouchable, c’est-à-dire du désir de s’abstenir de tout désir qui correspond à la limitation de l’élan romantique toujours traumatisant. Ce faisant, Flaubert fait penser à tous les itinéraires de la limitation du désir subjectif dans le roman « de la volonté mondiale » qui prône l’integralité universelle des consciences réactives bien qu’il reste toujours réticent à la recherche du sens effectif du monde humain et plaide plutôt pour la vérité de la conscience critique à l’aune postromantique. Le grand roman classique de la volonté universelle du XIX s. (Tolstoï, Dostoïévski, Gontcharov, Tourguénev) dépasse les frontières closes de la typologie sociale en démontrant la durée humaine comme mouvement évolutionnel vers un but sublime du processus historique de toute l’humanité du seul fait de suggérer à des consciences réactives un affect de compassion et de la sympathie.
Déjà dans « Douleur » Duras marque l’origine phénoménologique de son œuvre en introduisant un motif de singularisation de la mémoire du narrateur qui ne permet pas de voir cette histoire comme une histoire entre autres sur la France en guerre, mais sous la forme d’un journal trouvé pour y voir une critique des réflexes de conscience réactive en attente d’une réponse gratifiante qui nous apparaît comme une expression de la littérature par excellence. Le trauma initial d’une perte possible d’un être aimé sous le régime nazi finit par produire un réflexe d’une peur du present dans les conditions de la soi-disante liberté. Dans « Douleur » on peut voir un résumé de l’appréciation par Duras de l’état de la civilisation humaine d’après guerre. L’instinct d’agressivité dont un reflet se réalise dans l’affect de peur continue à travailler l’espirit humain.
Dans « Le Ravissement de Lol Valéry Stein » on voit le développement de la pensée phénoménologique de Duras sur les fondements culturels de la modernité et peut-être de la postmodernité, sur le pouvoir feminin ou maternel quand le dieu partiarcal comme source des valeurs suprêmes avait abandonné le monde. Comme déjà dans « L’Amant » le monde du dieu-père s’avère disparu on pourrait repérer toutes les conséquences « pathologiques » qui s’ensuivent. Lol Valéry Stein représente une neutralisation du désir dans le sujet. Elle n’arrive pas à se faire sujet du désir comme elle ne se voit pas elle-même dans le domaine du désir approprié. Elle ne peut pas faire le désir se replier sur lui-même et s’identifier dans une figure de sujet. C’est ici que se trouve une source de sa folie.
Timur Atnashev : « L’idée anthropologique de la bureaucratie »
Je vais considérer les origines et l’évolution de deux approches de la bureaucratie aux XVIII-XXI siècles qui correspondent à deux visions anthropologiques de l’homme - en tant que sujet rationnel - discipliné et éthique ou stratégique et manipulateur. De là, dépend la réponse à la question si la bureaucratie peut être efficace. En partant de la conception de la bureaucratie comme délégation ou transfert du pouvoir-faire du maître à ses employés par l’aide de l’écriture et des règles, je propose une lecture des arrangements techniques et de la réflexion critique des difficultés intrinsèques à ces arrangements. En considérant l’héritage de De Gournay, Von Moltke, Mill, Marx, Muir, Weber, Mises, Lénine, Parsons et d’autres, je voudrais démontrer l’existence de deux types de bureaucraties modernes et des deux approches normatives différentes.
Sergueï Panov, docteur de philosophie, est Maître de conférence de la Chaire des sciences sociales et des technologies de l’Université nationale de technologie MISIS de Moscou.
Timur Atnashev, docteur en histoire, est enseignant et chercheur à l’Académie de l’économie nationale et de l’administration publique RANEPA, spécialiste de l’histoire intellectuelle et la pensée politique russe. Doctorat à l’Institut Universitaire Européen de Florence, DEA de science politique à l’IEP de Paris, MA en histoire et civilization à l’IUE de Florence, MA en sociologie à la MSU Lomonossov à Moscou.
2ème semestre
Mercredi 16 février 2022 de 12h à 15h
Alberto GUALANDI
« Narcisse muet. Art abstrait et mort de l’art dans Zeit-Bilder d’Arnold Gehlen »
Avec l’extraordinaire affirmation de la société industrielle au milieu du XIXe siècle, la photographie et le cinéma soustraient à la peinture les fonctions sociales acquises à la Renaissance : à partir de l’impressionnisme, le peintre est dès lors contraint de se tailler une place dans sa propre subjectivité en explorant les lois de l’œil et de la vision. Le cubisme et le surréalisme déconstruisent philosophiquement la réalité à partir des principes et pulsions subjectifs qui président à la construction perceptive et imaginative de la réalité, tandis qu’avec l’abstractionnisme le pôle de l’objectivité est totalement supprimé : la peinture semble se replier narcissiquement sur elle-même dans une sorte de réflexivité silencieuse et mortifère. Mort de l’art ou libération des dimensions formelles et coloristes (pré-conceptuelles et pré-linguistiques) de la vision ? Fin de l’histoire (de l’art) et début de la postmodernité où l’art se dé-institutionnalise au nom d’une pseudo-démocratisation où chacun peut se dire artiste ? Epoque dans laquelle les lois du marché (de l’art) capitaliste sont les seules à déterminer ce qui a de la valeur ? Telles sont quelques-unes des questions qui se posent dans le débat contemporain à travers la relecture attentive de Zeit-Bilder (1961/1971) d’Arnold Gehlen (1904 - 1976) – une œuvre ambiguë et complexe consacrée aux énigmes de la peinture contemporaine par un des chefs de file de l’anthropologie philosophique du XXe siècle.
Ancien élève de l’Université de Paris 8, Alberto Gualandi est auteur de plusieurs ouvrages dédiés au problème de la nature humaine, au rapport entre science et philosophie, à la philosophie de la biologie, de la psychanalyse et de la psychiatrie. Il est docteur en philosophie en France et en Italie et a vécu dix ans entre la France et l’Allemagne.
Parmi ses publications, on rappelle : La rupture et l’événement. Le problème de la vérité scientifique dans la philosophie françaises contemporaine, L’Harmattan, 1998 ; Deleuze, Les Belles Lettres, 1998 ; Lyotard, Les Belles Lettres, 1999 ; L’œil, la main et la voix. Une théorie communicative de l’expérience humaine, Hermann, 2013.
Mercredi 16 mars 2022 de 10h à 12h
Juan RAMÍREZ
« La notion de limite chez Helmuth Plessner : enjeux anthropologico-politiques »
Suivant le sillage nietzschéen du corps en tant que « grande raison », pour le biologiste Helmuth Plessner le rôle des émotions témoigne du lien intime entre le corps et l’esprit. Sa double casquette biologique et philosophique, en plus de son inscription dans la gestalttheorie lui permettent non seulement de se situer à mi-chemin entre la spéculation métaphysique et la recherche empirique, mais également de se distinguer d’une vision évolutive naturaliste et behavioriste. Précurseur d’une Philosophie anthropologique (Les degrés de l’organique et l’Homme. Introduction à l’Anthropologie philosophique, 1928), il forge une analyse du comportement des organismes en termes de tendance, sortant du physicalisme en vogue, distinguant la structure du comportement vivant dans sa singularité vis-à-vis de la trajectoire des corps inertes. Anticipant ainsi la mouvance française d’après-guerre en Phénoménologie biologique (Merleau-Ponty, La structure du comportement, 1942) et en Épistémologie historique (Canguilhem, Le normal et le pathologique, 1943), et se démarquant des approches de l’expression comme celui de Bergson (Le rire, 1900), il permet, avec les travaux de ces derniers et également avec ceux de Alfred Whitehead à la même période, de réintroduire la notion de cause finale dans la réflexion philosophique et épistémologique. C’est alors en tenant compte du régime normatif ou de droit (anticipation, intention) et non plus dans la seule factualité empirique dépourvue de finalité, que l’on peut établir les bases d’un examen de la nature humaine sur l’expérience et l’expression humaine, sortant d’un cadre existentiel strict. Ici, la notion de frontière ou de limite apparaît comme un opérateur théorique d’une grande portée heuristique : elle s’étend au-delà de la simple contingence des situations et en-deçà d’une spéculation purement métaphysique, ouvrant à une théorisation sociologique à partir, par exemple, d’une véritable ethnologie de l’expression (Le rire et le pleurer : une étude des limites du comportement humain, 1941). De cette manière, la trace singulière suggérée par l’expression peut être reliée à une normativité sociale puis politique, dans la mesure où la limite de normalisation jaillit là où l’expression se laisse saisir en tant que réaction limite vis-à-vis des situations qui la dévoilent.
Juan Ramírez, Master en Philosophie à l’Université Paris 8. Il est également titulaire d’une Licence en Musique à l’Université Métropolitaine de Sciences de l’Éducation à Santiago (Chili), et d’un Master Recherche en Sciences de l’Éducation à l’Université de Rouen (France).
Mercredi 13 avril 2022 de 10h à 12h
Francisco NAISHTAT
« Vases communicants entre le Tractatus Logico-Philosophicus (Wittgenstein) et Zur Kritik der Gewalt (Benjamin). L’horizon d’un centenaire (1921-2021) et la question de la guerre »
2021 marquait le centenaire de la publication de Zur Kritik der Gewalt de Benjamin, et du Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein, une association qui n’est jamais évoquée parmi l’immense masse d’éxégèses et d’études critiques sur les deux textes du siècle dernier à aujourd’hui pourtant d’une part deux évènements éditoriaux pour tout le XXème siècle philosophique, dont d’autre part l’évènement de la première guerre mondiale est inséparable de cette constellation puisqu’elle a marqué de l’intérieur même ce qui est dit dans ces essais et qui pour une part essentielle sont une réponse du lieu de la philosophie du langage comme on va le voir, à la violence et à la guerre, en tant que catastrophe de civilisation.
La dernière et 7ème proposition du Tractactus de Wittgenstein, est bien connue qui porte sur le silence. Wittgenstein y écrivait Wovon man nicht sprechen kann, darüber muss man schweigen - de ce dont on ne peut pas parler il faut le taire. Ce silence n’est pas simplement négatif et passif mais montre et ouvre pour Wittgenstein la région de ce qui est au-delà de l’objectivable, celle de l’irréprésentable et de l’incalculable, ce qui pour l’auteur du Tractatus est propre à l’éthique, tel qu’il le dit littéralement, et à la volonté, et à la mystique. D’autre part chez Walter Benjamin, de la même manière la frontière qui, dans son texte Kritik der Gewalt sépare la région du droit, comme sphère mythique, dit-il, du représentable, et la région de la justice, comme sphère de l’éthique et du divin, doit être pensée à partir de la philosophie du langage, que Benjamin lui-même a élaborée entre 1916 et 1923 à travers deux textes séminaux sur ces sujets, Über Sprache überhaupt und über die Sprache des Menschen, c’est-à-dire du langage en général et du langage des hommes ou du langage humain, et Die Aufgabe des Übersetzers, de la tâche du traducteur.
Francisco Naishtat, docteur en philosophie (Université de Buenos Aires, UBA) et docteur habilité à diriger des recherches (Université Paris 8), est enseignant-chercheur à l’UBA et chercheur du Laboratoire des Logiques Contemporaines de la Philosophie (LLCP, Univ. Paris 8). Professeur invité en 2022 de l’Université de Paris 8, il est l’auteur de « Hermenéutica del olvido : intertextualidad en torno a un poema manuscrito atribuido póstumamente a Borges y su discusión desde perspectivas (in)existenciales », Boletín de Estética, nº 55, 2021 ; « Benjamin’s Profane Uses of Theology : The Invisible Organon », 2018, Religions, Special Issue, Ed. Dr. Agata Bielik-Robson ; Los modos de la historia en Walter Benjamin. De su metafísica temprana al materialismo histórico, Buenos Aires, Miño y Dávila, 2021 (en prensa) (avec Peter Fenves et Daniel Weidner, comp.) ; Le langage et l’action, Paris, L’Harmattan (2010).
Mercredi 25 mai 2022 de 10h à 12h
Hugo HIDALGO
« Critique de la minorité d’âge »
La communication a pour objectif de nous familiariser avec l’expression « l’âge de minorité », une métaphore associée par Kant à la « doxa universelle » pour situer « en termes généraux l’insuffisance autarcique des hommes, cette condition qui s’étend au moins à la classe des mammifères du règne animal, en rapport à l’impossibilité qu’ils ont de préserver par eux-mêmes la structure biologique. »
Hugo Hidalgo est candidat au doctorat en philosophie, à l’Universidad del Valle, Cali, Colombie.
Professeur Cathedra du Département de Philosophie, Universidad del Valle, des cours « Constitution politique de la Colombie », « Révolution et Constitution », « Éthique et philosophie politique ». Fonctionnaire de la même université.
Mercredi 15 juin 2022 de 12h à 15h
Bernd LEHFELD
« Une thérapeutique pragmatique de l’existence au cœur de l’anthropologie fondamentale de l’expressivité humaine comme fondement de la Psychologie chez Binswanger ?
Points de considération et indices de contact entre la "clinique binswangerienne" à Bellevue et "la communication heureuse" selon Jacques Poulain »
Dans « l’introduction à la métaphysique » (p.145) Heidegger affirme que « le dire et l’entendre ne sont véritables que si en eux-mêmes ils sont déjà d’avance érigés vers l’être, vers le logos. Ce n’est que là où celui-ci se découvre, que le vocable devient parole ». Logos et l’être se recouvraient donc. Mais que faire de cet évènement singulier, ce phénomène du ‘se découvrir comme/dans’, qui finalement fait parler le vocable ? Quel statut attribuer à cet évènement (Ereignis) qui promet et installe l’effectivité en étant érigé vers l’être ?
Binswanger prend d’emblée le logos à l’intérieur d’une enquête sur les « fondements de la communication humaine » en investigant trois champs d’exploration qui interrogent le fait que l’expérience psycho-patho a toujours partie liée avec le Logos que le langage traduit l’imagination de la jointure entre les êtres en étant le lieu-même de leur co-existences relationnelles que langage et communication sont à prendre comme étant au-delà de la raison « raisonnante » visant à faire vivre ce qui dans « le logos fonde l’essence du langage » (Heidegger).
René Schérer nous dit que penser l’expressivité humaine sous l’exigence d’un fondement ne peut se concevoir hors du sujet qui souhaite faire parler « l’être qui parle », problématisant ainsi le lien intrinsèque entre a priori et structure pour situer « d’où cet a priori émane et en quoi il se constitue ». (Essai critique Structure et fondement de la communication humaine, SEDES 1965, p.188/189)
Ainsi, logos et langage forment un couple indissociable, et la langue » s’entend en tant que parole donnée ou refusée, de l’être et de la communication ». Si le langage est un étant parmi d’autres, il est en même temps spécifique puisque promesses d’accès « à la totalité du domaine des signification interhumaines » (ibid), toujours au creux de ce que le langage vise.
Quand Binswanger dit « esprit » il faut entendre « logos ». Le « problème de la communication » (dans un sens très large) occupe le centre de la pratique thérapeutique en clinique où la parole circule à travers de multiples cheminements, orientant et ré-calibrant existentiellement l’évènement de la rencontre thérapeutique en interrogeant profondément les « mécanismes du transfert ». Réalité de soin institutionnel, appelé à établir ses liens et ses distances avec ce qui conceptualise la thérapeutique analytique chère à Freud.
Cela met entre parenthèse l’approche clinique exclusivement biologique. Le ‘comprendre thérapeutique’ se met d’emblée sous une exigence : faire émerger le ‘comprendre partagé’ « de ce qui s’exprime là », se faisant sous nos yeux.
Et l’histoire intérieure de la vie d’une personne se comprend en convoquant à partir de ce qu’elle nous dit et révèle de son mode de connexion aux autres expériences de vie rencontrées.
Les expériences et les modes d’expression se thématisent alors sous l’idée qu’une transcendance absolue de l’existence existe, que le travail commun dans l’espace thérapeutique fait émerger.
Ainsi, les bribes de vie ayant tissées l’histoire intérieure de la vie, dont il est question dans la rencontre thérapeutique, sont à prendre comme autant de marqueurs qui alimentent la force créatrice d’un ‘awarness situationnel’ (sensibilisation topo-évènementielle), se découvrant dans la nudité de son faire-ensemble, sans reste.
Se pose alors la question de quoi est faite, comment elle s’explore, voire sous quels principes se vit cette scène théâtrale du processus thérapeutique visant l’existence comme fait total de l’humain.
Ce qui structure, donne sens, se pratique cliniquement au sein de la thérapeutique de la clinique Bellevue, se condensant conceptuellement en prenant à un moment donné le nom de l’analyse existentielle (Daseinsanalyse), est, semble-t-il, d’une telle évidence que Binswanger lui-même n’a pas éprouvé le besoin de lui donner une forme systématique sous forme de bréviaire qui donnerait des clefs de la manière de soigner existentiellement la vie humaine en souffrance, même si a des nombreuses occasions il y a ‘concept en acte’ qui mène tacitement sa plume.
Pour faire émerger ce fond clinique et conceptuel, discrètement en acte dans ses textes cliniques et théoriques, nous pensons utiles de procéder par des éclairages latéraux pour les mettre en dialogue avec ce qui nous paraît être leur pendant dans la pensée binswangerienne.
Bernd Lehfeld, doctorant au département de philosophie de Paris VIII.
Cuisinier à la fin des années 60 à Hanovre, étudiant en « Politikwissenschaften » à la FU de Berlin et militant dans les années 70, éducateur spécialisé auprès de personnes handicapées en Normandie et à Paris pendant 20 ans, 10 ans de consultant en politique handicap dans les grandes entreprises. Etudes de philosophie à la Sorbonne et Paris VIII par tranches entre 87 et 2005 parallèlement à mon parcours professionnel avec le DEA sur Ludwig Binswanger en 2005, depuis 2016 à la retraite.