MONTI Philippe 16.12.2017
UNIVERSITÉ PARIS 8
2, rue de la Liberté
93526 SAINT-DENIS cedex 02
AVIS DE SOUTENANCE DE DOCTORAT
(Arrêté ministériel du 25 Mai 2016)
Ecole doctorale « Pratiques et théories du sens »
Discipline : Philosophie
Monsieur Philippe MONTI
Tire de la thèse :
POUR UNE ANTHROPOLOGIE DE L’HOMME NÉOLIBÉRAL :
GROUVERNEMENTALITÉ OU DOMINATION ?
Directeur de recherche :
Monsieur Bertrand OGILVIE, Professeur à l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis
Membres du jury :
Madame Ninon GRANGÉ, Maître de conférence à l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis
Monsieur Alejandro BILBAO, Professeur à l’Université de Los Lagos, Osorno (Chili)
Monsieur François DENORD, Chargé de recherche au CNRS (Paris)
Monsieur Olivier RAZAC, Maître de conférence à l’Université de Grenoble Alpes
Monsieur Ricardo VISCARDI, Professeur à l’Université de La République de Montevideo (Uruguay)
Monsieur Bertrand OGILVIE, Professeur à l’ Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis / Directeur de la thèse
Date prévue :
Le lundi 16 décembre 2019, 14h
Lieu :
Sis Hôtel de Ville de Paris (4ème arrondissement)
5 rue de Lobau, Salle Xavier Lacoste
Résumé :
Le néolibéralisme ça n’existe sans doute pas davantage que le pouvoir ou le sujet. Et pourtant, ces trois catégories sont incontournables pour qui ambitionne d’interroger les inflexions du monde dans lequel nous vivons depuis quelques décennies. Incontournables aussi bien parce qu’on ne peut pas en faire l’économie que parce qu’elles sont si massivement évidentes qu’elles finissent par boucher la vue et cacher ce qui est nouveau et inattendu. Notre actualité est traversée, avec la généralisation des politiques d’inspiration thatcherienne ou reaganienne, par des mutations profondes que nos contemporains connaissent et reconnaissent, soit pour les célébrer, soit pour les contester (soit, parfois, pour s’avouer impuissants et détourner le regard). La notion de néolibéralisme renvoie tout autant à la financiarisation du capitalisme qu’à l’achèvement hypothétique de l’utopie libérale (une concurrence pure régulant l’ensemble des conduites collectives et individuelles). Cela signifie que le néolibéralisme correspond à une extension sans cesse plus prégnante des modèles du marché et de la marchandise, des modèles qui colonisent progressivement toutes les dimensions de l’existence : la production, le social, l’idéologique et le culturel ; des modèles qui se diffusent au point d’innerver et de réglementer désormais jusqu’aux corps et aux pratiques du quotidien. Il n’y a rien de bien original ni de très contestable dans cette caractérisation schématique du néolibéralisme.
Les choses deviennent plus opaques dès lors que l’on s’interroge sur les conditions qui ont rendu possibles – et qui les rendent chaque jour plus réelles – les mutations rapides qui concrètement émiettent l’État social et lui substituent une concurrence progressivement généralisée. Tout se passe donc comme si la financiarisation de l’économie s’accompagnait nécessairement d’une nouvelle forme de subjectivation (voire donnait naissance à cette forme nouvelle) : un sujet entrepreneur de lui-même qui sera tout autant le produit que le producteur d’une concurrence devenue, pour un tel sujet, à la fois un impératif catégorique et un milieu “naturel” d’existence. Il y aurait donc bien quelque chose comme un homme nouveau, un « homme néolibéral » dont les conduites (conduite de soi et conduite des autres) seraient la manifestation observable d’une rupture historique et d’une mutation anthropologique. Rien de bien étonnant à cela : la capacité à représenter la succession de moments historiques distincts se construit toujours autour de la mise en valeur de telles ruptures et de de telles mutations. On peut donc légitimement faire l’hypothèse de l’émergence, durant les dernières décennies, d’un « homme néolibéral ».
Mais le développement de cette hypothèse, s’il souhaite être davantage qu’un bavardage convenu autour de quelques injonctions moralisatrices, ne peut se réduire à l’énumération éclectique des quelques généralités contemporaines qui voyagent spéculativement du triomphe de l’individu à la mort du père en passant par l’ère du vide ou la souffrance au travail. C’est dire que l’examen de cette hypothèse passe par l’esquisse d’une anthropologie matérialiste, d’une anthropologie qui se propose d’analyser en même temps les conditions matérielles de production d’un sujet en adéquation avec le capitalisme déréglementé et financiarisé et l’implication de ce sujet dans le fonctionnement au quotidien de ce capitalisme refondé.
Se pose alors la question de la détermination des concepts auxquels le projet d’une telle anthropologie peut recourir. Où les trouver ? Dans la pensée critique, on rencontre deux penseurs qui ont explicitement confronté leurs catégories d’analyse à la question du néolibéralisme (deux penseurs auxquels les critiques contemporains du néolibéralisme font systématiquement référence, et pour certains allégeance). Il s’agit de Foucault et de Bourdieu. C’est pourquoi la thèse se propose de remettre en chantier le concept foucaldien de gouvernementalité pour tenter de dégager quelques mécanismes de production de l’ordre néolibéral et de son sujet ; elle essaie d’examiner ce début de XXIe siècle à la lumière de notions comme celles de régime de vérité, de gouvernement des autres, de gouvernement de soi, de pratique de soi, de dispositifs, d’assujettissement, de normes ou de pouvoirs. Parallèlement à cette approche, et de la même façon, l’engagement de Bourdieu dans la critique du néolibéralisme justifie d’entreprendre un examen des mêmes mécanismes à l’aide du concept de domination, donc à la lumière de notions sociologiques comme celles d’habitus, de violence symbolique ou d’illusio. En bout de course, une anthropologie matérialiste de l’homme néolibéral ne pourra pas se contenter de juxtaposer les deux approches, celle de Foucault et celle de Bourdieu, ni d’en faire deux expositions académiques parallèles et cloisonnées : il s’agit bien plutôt de lire l’un et l’autre pour se doter de quelques outils d’analyse – sans doute hétéroclites – susceptibles de nous armer à la fois dans l’esquisse de l’anthropologie visée et dans la critique du capitalisme néolibéral. Lire l’un à côté de l’autre, mais aussi l’un contre l’autre et, autant que faire se peut, l’un avec l’autre.
La réflexion doit donc nécessairement en repasser par l’analyse d’un concept comme celui de biopolitique, par le questionnement des luttes et des résistances qui accompagnent et façonnent tout pouvoir, mais aussi par l’examen de points de doctrine mis en avant par les théoriciens néolibéraux (l’homo œconomicus, le capital humain, la consommation contre la démocratie représentative, etc.) et d’éléments d’histoire de la pensée néolibérale ; et elle ne peut faire l’économie d’une interrogation des mécanismes d’exclusion et/ou d’extermination qui génèrent l’extension de l’État pénal et du camp. Plus que d’une rivalité absurdement fabriquée entre deux approches incompatibles (celle, historico-critique, de Foucault et celle, socio-économique, de Bourdieu), il s’agit de lire l’une avec l’autre pour, au bout du chemin, essayer d’esquisser la logique et les contours de quelques « dispositifs » qui organisent la production du sujet entrepreneur de lui-même – c’est-à-dire des dispositifs qui, aujourd’hui, assujettissent, qui disciplinent et qui gèrent les populations en séparant les sujets utiles des humains inutiles. La réalisation, même modeste et incomplète, d’une telle ambition démonétisera le prêt-à-penser pour philosophes pressés (les fast thinkers dont parlait Bourdieu) qui oppose caricaturalement Foucault à Bourdieu comme on oppose la liberté au déterminisme, ou la bonne philosophie à la mauvaise sociologie.