PINGEOT Mazarine 03.12.2016

UNIVERSITÉ PARIS 8
2, rue de la Liberté
93526 SAINT-DENIS cedex 02

AVIS DE SOUTENANCE DE DOCTORAT
(Arrêté ministériel du 25 Mai 2016)
Ecole doctorale « Pratiques et théories du sens »
Discipline : Philosophie

Mazarine PINGEOT

Titre de la Thèse : 
TEMPS ET SUBJECTIVITÉ CHEZ DESCARTES

 

Directeurs de recherche :
Monsieur Stéphane DOUAILLER (PR Université Paris 8)
Monsieur Jean-Pierre MARCOS (MCF Université Paris 8)

Membres du jury :
Madame Delphine ANTOINE MAHUT (PR ENS Lyon, rapportrice)
Monsieur Pierre GUENANCIA (PR Université de Bourgogne, rapporteur)

Date prévue :
Samedi 3 décembre 2016 à 10h30

Lieu :
Sis Université Paris 8
Salle des thèses - Espace Deleuze

Résumé :
La question qui nous occupe est celle que pose Descartes dans la deuxième Méditation : « je pense, je suis », « mais combien de temps ? » Question à laquelle la notion de « chose » apportera une réponse plus problématique que satisfaisante, puisqu’au premier abord, elle semble nier le temps – une chose ou substance ayant comme attribut essentiel la permanence. Or la permanence, même si elle sera justifiée par la théorie de la création continue de Dieu, ne trouve aucun écho du côté de la conscience, sujette à des intermittences, au sommeil, à la distraction. Aussi la question peut-elle se reformuler ainsi : suis-je vraiment toujours en train de penser, moi dont l’être est de penser, dont la pensée se définit par la conscience à soi, mais dont l’attention est fragile et l’assoupissement prompt ? Autrement dit, suis-je toujours conscient de moi-même, ce qui assurerait une identité à moi, non pas du point de vue ontologique, mais bien du point de vue de l’ego cogito, premier principe sur le chemin des raisons. Et en effet comment fonder ma durée, sans le recours à un Dieu vérace, puisque ma durée est la condition même de ma pensée et de son déploiement dans le temps, condition de la méditation sur six jours, et du récit autobiographique du Discours  : l’un se déroulant au présent, dans une temporalité en train de se faire, et semble-t-il identique à l’être de l’esprit ; l’autre ressaisissant une histoire passée, celle d’une vie, de l’enfance à la découverte de ce premier principe dans la maturité.
Ainsi, d’un côté la temporalisation du sujet s’exprime dans la forme même des deux grands textes philosophiques de René Descartes, pour autant, il existe très peu de considérations sur le temps et la mémoire, sinon la fameuse doctrine de la création continue. Mais la création continue, on l’a dit, ne rend pas compte de la conscience de la durée, conscience qui elle-même ne peut être divisée en instants indépendants les uns des autres, dans la mesure même où cette conscience est redoublement, épaisseur de la pensée. Il y a là contradiction entre la factualité de la pensée se déployant sous nos yeux, et une conception du temps mathématique et ontologique, qui ne fait aucune part au sujet.
Et pourtant, si Descartes ne prend pas en compte le temps comme catégorie à mettre en doute et à fonder, il est particulièrement attentif au temps de la vie, que ce soit à travers ses considérations sur l’enfance, ou sur le bon moment pour philosopher, à travers la promotion de l’exercice et de l’entraînement pour s’approprier la méthode ou à travers l’extrême sensibilité aux présages mortifères qui le font hésiter à partir pour Stockholm. Enfin, cette attention au temps s’exprime dans le choix du récit comme forme philosophique.
On est alors contraint de s’interroger sur la nature de ce temps subjectif et subjectivé. D’autant plus que le cogito fait office de fondement dans la mesure où il transcende la chaîne des raisons, en tant qu’épreuve ou qu’expérience métaphysique. A ce titre, il échappe au temps de la méditation comme du Discours, représente cette « pointe » hors du tout, comme le désigne Derrida, et de ce fait ne semble pas suffire à fonder la temporalisation de la pensée. Et le problème se pose à deux niveaux : métaphysique comme anthropologique. Car si le passage du ‘je pense’ au ‘je pense toujours’, qui devrait pouvoir se traduire en ‘je suis identique à moi-même dans le temps’ est éminemment problématique du point de vue de la philosophie première, il l’est tout autant sur le plan anthropologique, où il semble y avoir solution de continuité entre l’enfant et l’homme adulte – l’enfant pareil à l’animal, dans son incapacité à parler, et l’homme adulte, qui n’en est pas la fin ou l’acte pour user d’un langage aristotélicien, et qui pourtant est le même individu. Point de généalogie chez Descartes, mais des sauts entre des plans hétérogènes, qui rendent la pensée du temps particulièrement ardue.
C’est pourtant celle-ci que nous cherchons à retrouver dans le corpus cartésien, à travers un dialogue que nous nouons avec la philosophie contemporaine. Car si l’enfant est une figure à part dans et de la philosophie comme l’une de ses limites (excepté à travers la pédagogie et la science de l’éducation), il en est une autre qui questionne la philosophie cartésienne au même titre que le temps, c’est celle du fou. Deux approches contemporaines, et pour des raisons opposées, se confrontent à Descartes pour rendre compte de la figure du fou. Foucault fera de Descartes celui qui a rejeté la folie de l’autre côté de la Raison et signé le divorce définitif ; tandis que la psychiatrie et la science en général privilégieront une méthode externaliste, déboutant le cogito de ses prétentions. Les enfants et les fous mettent pareillement en jeu la question de la temporalité, et plus largement la philosophie cartésienne. Pourtant, et au rebours des critiques contemporaines, qu’elles soient d’obédience historisante, ou de tendance naturaliste, l’œuvre de Descartes contient les réponses aux attaques portées.
Ainsi, nous essaierons de penser le lien entre l’enfant et l’homme adulte sans avoir recours ni à la généalogie ni à l’externalisme, de même que nous montrerons que la folie est certes exclue comme condition d’impossibilité de la pensée, mais pas pour les raisons que Foucault expose. Car le doute est l’envers même de la folie : la folie, c’est la croyance – croire que l’on est roi, croire que l’on est une cruche. Et tout être qui croit au réel est en quelque sorte frappé de folie. Mais celui qui médite n’est pas fou, puisqu’au lieu d’être pris dans le monde, il fait retour sur soi, et plutôt qu’être pris par soi, il fait le détour par l’Autre, la véritable Altérité, cette idée d’infini que j’ai (que je suis) sans pouvoir la comprendre.
La transcendance de Dieu au cœur de l’immanence de ma pensée, modélise une structure de la temporalité qui permet tout à la fois de rendre compte de mon identité à moi-même dans le temps, et de ma possible transformation dans mon être. Demeurer et se transformer, cette dialectique n’est possible que par celle que Descartes met en œuvre dans la troisième Méditation, entre une immanence de la pensée, et son extériorité. Ainsi, le temps comme immanence s’ouvrira sur cette dimension de l’autre, ce qui permet de penser tout à la fois temporalité et liberté.
Or cette dialectique qui ne débouche jamais sur une synthèse, s’articule de façon privilégiée dans le récit : le récit est temps déployé, mais l’écriture même dans sa performativité, fait advenir du neuf, s’ouvre à la création. Le récit est création, et ce parce qu’en plus de ressaisir des éléments épars et en les réintégrant dans une identité, l’acte même de cette ressaisie participe d’une création qui ne doit rien, ni aux éléments épars, ni à l’identité : c’est là notre dimension de transcendance. Le récit de soi est la performativité de l’articulation entre immanence et transcendance. La forme adoptée par Descartes performe sa philosophie, en est l’acte même.